Parlons syntaxe

Illustration tirée de Refrancisons-nous, 1951 (deuxième édition), p. 27.

Il y a quelques mois, l’Oreille s’est tendue vers un médiatic québécois : la curieuse habitude de commencer une phrase par le pronom «Vous» suivi d’un verbe à l’infinitif. Vous dire qu’elle trouvait ça bizarre.

Plus récemment, une autre construction a attiré son attention : la locution verbale «C’est» suivie d’un verbe à l’infinitif, lui-même précédé par «de». C’est de comprendre cette nouveauté (du moins, aux oreilles de l’Oreille).

Exemples :

«Au début, c’était plus de lui demander comment mon père voyait ça, les Canadiens et tout ça, continue Justin» (la Presse+, 15 août 2022).

«Sur l’échec avant, c’est de finir mes mises en échec et de gagner le plus de batailles à un contre un»; «c’est juste d’essayer d’être encore plus complet» (la Presse+, 13 août 2022).

«Donc pour nous, c’est de prouver qu’on peut bien performer en séries»; «Pour moi, c’est juste de combler les trous qui manquent en travaillant fort» (la Presse+, 17 août 2022).

«c’est juste de continuer à prouver que les femmes parlent autant de sport que les hommes»; «C’est d’avoir ce sens de la sensibilité, que peu importe où vous restez, c’est l’équité pour tous» (la Presse+, 18 août 2022).

Les lecteurs perspicaces — mais quel lecteur de ce blogue n’est pas perspicace ? — auront remarqué que toutes les citations renvoient au monde du sport. Foi d’Oreille, pourtant, ce n’est pas seulement de la langue de puck. Ça s’entend ailleurs, promis juré.

Gardons l’oreille ouverte.

 

Illustration : Illustration : F. J.-F. [Frère Jean-Ferdinand], Refrancisons-nous, s.l. [Montmorency, Québec ?], s.é., coll. «Nous», 1951 (deuxième édition), 143 p., p. 27.

 

Référence

Melançon, Benoît, Langue de puck. Abécédaire du hockey, Montréal, Del Busso éditeur, 2014, 128 p. Préface de Jean Dion. Illustrations de Julien Del Busso.

Benoît Melançon, Langue de puck. Abécédaire du hockey, 2014, couverture

La clinique des phrases (pppp)

La clinique des phrases, Charles Malo Melançon, logo, 2020

(À l’occasion, tout à fait bénévolement, l’Oreille tendue essaie de soigner des phrases malades. C’est cela, la «Clinique des phrases».)

Mason Toye joue pour le CF Montréal — c’est du soccer, donc du football —, mais pas actuellement.

Un journal montréalais évoque la chose :

Mason Toye était le meilleur buteur du club en 2021 jusqu’à la blessure qui a mis fin à sa saison en août. L’Américain avait inscrit 7 buts en 14 matchs. Rétabli en vue du camp d’entraînement, un enjeu à un adducteur l’a encore tenu à l’écart en 2022.

«Enjeu à un adducteur» ? Le site transfermarkt.fr est moins sibyllin :

Déchirure des abducteurs

Donc :

Rétabli en vue du camp d’entraînement, une blessure à un adducteur l’a encore tenu à l’écart en 2022.

À votre service.

P.-S.—Oui, il y aurait aussi une anacoluthe à corriger. La vie est trop courte.

Trente-neuvième article d’un dictionnaire personnel de rhétorique

Anacoluthe, le Devoir, 22 mars 2022

Anacoluthe

Définition I

«Figure qui opère une rupture de syntaxe. La négligence, un lapsus, une charge émotive ou l’impatience de la pensée en sont les causes possibles […]» (Dictionnaire des termes littéraires, p. 32).

«L’anacoluthe consiste en une construction de phrase qui s’interrompt soudainement pour laisser la place à une autre construction, comme un changement de sujet (Espérant le tout à votre satisfaction, veuillez agréer mes salutations distinguées)» (Office québécois de la langue française).

N.B. L’anacoluthe concerne souvent l’apposition.

Exemples

«N’ayant répondu qu’en anglais aux questions lors d’un comité parlementaire, des élus doutent de son engagement à corriger le tir» (le Devoir, 22 mars 2022).

«Conçu en discutant avec ses enfants, M. Babiak précise que le roman suit un groupe de filles intelligentes et hautement formées qui ont un rôle “derrière les grands moments de l’Histoire”» (Radio-Canada, 27 mars 2022).

«Arrêtée par la Gestapo, son comportement fut héroïque» (France Culture, 28 mars 2022).

Définition II

Insulte prisée par le capitaine Haddock

P.-S.—En effet, il a déjà été question d’anacoluthe ici et .

 

Référence

Van Gorp, Hendrik, Dirk Delabastita, Lieven D’hulst, Rita Ghesquiere, Rainier Grutman et Georges Legros, Dictionnaire des termes littéraires, Paris, Honoré Champion, coll. «Dictionnaires & références», 6, 2001, 533 p.

Ellipse syntaxique

François Grisé, Tout inclus. Tome 2, 2022, couverture

L’autre jour, l’Oreille tendue rendait compte du roman Morel (2021) de Maxime Raymond Bock. Elle en citait une phrase — «Faudrait je m’assise» (p. 313) — et disait que sa construction ne l’étonnait pas.

Un lecteur fidèle de l’Oreille, appelons-le L’Hispanique Bibliothécaire Le Bibliothécaire Hispanophone, s’interrogea privément : «Vraiment ?» (paraphrase)

Lisant le deuxième tome de l’excellent Tout inclus (2022) de François Grisé, l’Oreille tombe sur plusieurs phrases témoignant de pareille élision de la conjonction de subordination :

«Une chance tu viens me voir, c’est plate ici» (p. 39);

«Veux-tu j’te mette d’la crème dans le visage ?» (p. 40);

«Lui ’ssi pense j’t’une mentale» (p. 59);

«Essaye de changer ça, faut tu te lèves de bonne heure, t’sais» (p. 87).

Gardons l’œil ouvert.

 

Références

Grisé, François, Tout inclus. Tome 2, Montréal, Atelier 10, coll. «Pièces», 29, 2022, 120 p. Ill. Précédé d’un «Mot de l’auteur» et suivi de «Contrepoint. Susciter la réflexion» par Gilles Duceppe.

Raymond Bock, Maxime, Morel. Roman, Montréal, Le Cheval d’août, 2021, 325 p.

La clinique des phrases (eeee)

La clinique des phrases, logo, 2020, Charles Malo Melançon

(À l’occasion, tout à fait bénévolement, l’Oreille tendue essaie de soigner des phrases malades. C’est cela, la «Clinique des phrases».)

On le sait : l’Oreille est volontiers tatillonne en matière d’énumérations; elle les aime rigoureusement construites.

Elle a donc tiqué devant cette phrase :

Je me réjouis que l’on veuille développer la pensée critique et la capacité à dialoguer en ces heures de dangereuse polarisation; que l’on veuille faire connaître les nouveaux médias et leurs périls et mettre en garde contre eux; que l’on veuille parler de sexualité; faire connaître nos institutions politiques; parler de liberté d’expression et de liberté de conscience.

Son rédacteur semble s’être lassé en cours de route de l’anaphore que l’on veuille. Il n’aurait pas dû.

Deux corrections sont possibles.

Je me réjouis que l’on veuille développer la pensée critique et la capacité à dialoguer en ces heures de dangereuse polarisation; que l’on veuille faire connaître les nouveaux médias et leurs périls et mettre en garde contre eux; que l’on veuille parler de sexualité; que l’on veuille faire connaître nos institutions politiques; que l’on veuille parler de liberté d’expression et de liberté de conscience.

Je me réjouis que l’on veuille : développer la pensée critique et la capacité à dialoguer en ces heures de dangereuse polarisation; faire connaître les nouveaux médias et leurs périls et mettre en garde contre eux; parler de sexualité; faire connaître nos institutions politiques; parler de liberté d’expression et de liberté de conscience.

Convenons-en : il reste encore des répétitions de mots (faire connaître, parler). Essayons de régler cela.

Je me réjouis que l’on veuille développer la pensée critique et la capacité à dialoguer en ces heures de dangereuse polarisation; que l’on veuille faire connaître les nouveaux médias et leurs périls et mettre en garde contre eux; que l’on veuille discuter de sexualité; que l’on veuille présenter nos institutions politiques; que l’on veuille parler de liberté d’expression et de liberté de conscience.

Je me réjouis que l’on veuille : développer la pensée critique et la capacité à dialoguer en ces heures de dangereuse polarisation; faire connaître les nouveaux médias et leurs périls et mettre en garde contre eux; discuter de sexualité; présenter nos institutions politiques; parler de liberté d’expression et de liberté de conscience.

À votre service.