Accouplements 194

Café Un homme et son café, Saint-Jérôme, Québec, été 2022

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux œuvres, ou plus, d’horizons éloignés.)

En 1933, Claude-Henri Grignon publie Un homme et son péché. Ce roman, devenu classique, a inscrit dans la conscience linguistique québécoise au moins deux expressions. Le personnage principal, Séraphin Poudrier, n’aime pas dépenser : dans le français québécois, on l’a déjà vu, un séraphin est un avare. Grignon a aussi popularisé une forme de juron, viande à chien.

Ajoutons à cette paire un mot utilisé pour critiquer Grignon : séraphinade.

Bouchard, Serge, Un café avec Marie, Montréal, Boréal, coll. «Papiers collés», 2021, 270 p.

«Le chanoine [Lionel Groulx] avait une peur bleue de l’Amérique et des Américains. Colons, habitants, anti-américains, nous nageons dans la soupe de Claude-Henri Grignon, dans les séraphinades de toutes les versions, censurées ou pas» (p. 37).

Voyer, Marie-Hélène, l’Habitude des ruines. Le sacre de l’oubli et de la laideur au Québec, Montréal, Lux éditeur, 2021, 211 p. Ill.

«Au Québec, en matière de culture, il semble que par ignorance ou incompréhension, on préfère pleurer sur le retrait d’un crucifix ou dénoncer la disparition du jambon dans la soupe aux pois d’une obscure cabane à sucre plutôt que de défendre la pérennité de nos œuvres d’art; tant que nos fèves au lard gardent leur lard et que les séraphinades de Claude-Henri Grignon tournent en boucle à la télé, notre culture restera protégée. Du moins, c’est l’illusion dont on se berce pour dormir en paix» (p. 130).

P.-S.—L’Oreille tendue a présenté le texte de Marie-Hélène le 6 janvier 2022.

La confusion des langues

Machine à sous

Les entreprises de paris sportifs polluent de plus en plus les ondes télévisuelles. Cela entraîne parfois des problèmes de prononciation.

Prenons Bet99.

Dans ses publicités, cette entreprise pratique l’alternance codique : on commence en anglais avec «Bet ninety nine», puis on continue en français avec «point net».

Un des commentateurs sportifs préférés de l’Oreille tendue a bien vu le problème. On lui doit (au moins ?) trois prononciations. La première toute en français : «Bet quatre-vingt-dix-neuf point net.» La deuxième toute en anglais : «Bet ninety nine dot net.» La troisième plus économique, mais en anglais : «Bet ninety nine.»

D’autres prononciations sont-elles possibles ? Les paris sont ouverts.

La benne est pleine

Orignal mort, dans un camion

Il existe plusieurs façons, dans le français populaire du Québec, de marquer qu’assez, c’est assez. On peut en avoir plein son casque ou être tanné.

Ce n’est pas tout : «Il fallait toujours qu’il y ait 82 valeurs de plan. Moi, j’avais mon truck de ça, parce qu’on l’avait beaucoup fait dans RBO» (la Presse+, 1er mai 2022).

Avoir son truck, donc : la benne est pleine.

Mike Bossy au cinéma

Tom Radford, Life after Hockey / la Vie après le hockey, 1989, cassette vidéo

En 1989, Tom Radford réalise pour la télévision le film Life after Hockey / la Vie après le hockey, sur un scénario de Michael Puttonen et Kenneth Brown d’après une pièce de théâtre de Kenneth Brown. D’une durée de 50 minutes, le film est produit par Andy Thomson pour Great North Productions Inc.

Sur la cassette vidéo, voici comment le film est présenté :

«Vivez toute la magie du hockey et des héros sur patins dans cette fantaisie unique ! Ken “Ring Rat” Brown rêve des idoles de son sport favori dans la Vie après le hockey. Obsédé du hockey, Ken voit son imagination se jouer de lui.

Le légendaire Maurice “Rocket” Richard, Kurt Browning, champion du monde de patinage artistique, et Glen Sather, l’entraîneur qui a mené l’Équipe Canada à une victoire dramatique en prolongation en 1984 contre les Soviétiques, viennent à tour de rôle rencontrer “Rat”. Mais est-ce bien un rêve ? Quand Glen Sather demande à Ken d’aider son pays, il ne peut le croire. Et finalement “Ring Rat” lui-même détient le record de tous les temps pour le plus grand nombre de buts comptés uniquement en rêve…»

Le Rat est donc un rêveur. Il prétend avoir marqué, en période supplémentaire, le but gagnant du Canada contre la République soviétique lors de la coupe Canada de 1984. Ce soir-là, il regardait le match des estrades de l’aréna de Calgary quand Michael Bossy a été blessé. Or Le Rat aurait ressemblé à Bossy (c’est Guy Lafleur qui le lui aurait dit). On lui fait enfiler son chandail et on l’assoit au banc de l’équipe canadienne, histoire de ne pas laisser les Soviétiques savoir que Bossy est blessé. Dans le feu de l’action, Glen Sather, l’entraîneur de l’équipe canadienne, est distrait et il envoie Bossy / Le Rat dans la mêlée, et c’est lui qui marque le but gagnant.

Mike Bossy a fait rêver beaucoup de monde. Il est mort aujourd’hui, à 65 ans.

P.-S.—Il est aussi question de Maurice Richard dans ce film. Cela est abordé dans le livre qu’a fait paraître l’Oreille tendue en 2006.

 

Référence

Melançon, Benoît, les Yeux de Maurice Richard. Une histoire culturelle, Montréal, Fides, 2006, 279 p. 18 illustrations en couleurs; 24 illustrations en noir et blanc. Nouvelle édition, revue et augmentée : Montréal, Fides, 2008, 312 p. 18 illustrations en couleurs; 24 illustrations en noir et blanc. Préface d’Antoine Del Busso. Traduction : The Rocket. A Cultural History of Maurice Richard, Vancouver, Toronto et Berkeley, Greystone Books, D&M Publishers Inc., 2009, 304 p. 26 illustrations en couleurs; 27 illustrations en noir et blanc. Traduction de Fred A. Reed. Préface de Roy MacGregor. Postface de Jean Béliveau. Édition de poche : Montréal, Fides, coll. «Biblio-Fides», 2012, 312 p. 42 illustrations en noir et blanc. Préface de Guylaine Girard.

Voltaire, gros naze animé

Voltaire dans la série animée Archer

Un ancien étudiant de l’Oreille tendue, désœuvré, se tourne vers Netflix, plus précisément vers la série d’animation Archer. Il y entend parler de Voltaire. Il prévient donc l’Oreille, qu’il sait friande de ce genre de manifestation du siècle des Lumières dans la culture populaire. (Merci.)

De quoi s’agit-il ? Au début du quatrième épisode de la douzième saison, «Photo Op» (en français «Coup de com’»), diffusé originellement sur FXX le 8 septembre 2021, on peut entendre l’échange suivant :

Archer : Who ever said acting was hard ?
— No one.
— Nobody ?
— Nobody.
Archer : Really ? I’m sure it was someone. Voltaire maybe ? That sounds right. Well, he was an idiot.

Traduction de l’audio :

Archer : Qui a dit que c’était dur d’être acteur ?
— Personne.
— Non, personne.
— Personne.
Archer : Sérieux ? J’suis pourtant sûr que quelqu’un l’a dit. Voltaire, peut-être ? Eh, j’crois qu’c’était Voltaire. Putain, quel gros naze.

Traduction en sous-titres :

Archer : Qui a dit que le ciné, c’était dur ?
— Personne.
— Personne.
— Personne.
Archer : Ah bon ? Ça m’étonne. Voltaire, peut-être ? Ça doit être ça. Il était trop con.

Voltaire a-t-il bel et bien dit que jouer était difficile ? La citation — si tant est que ce soit une citation — est bien imprécise.

Les concepteurs renvoient-ils à la préface des Scythes (1766) : «La pièce qu’on soumet ici aux lumières des connaisseurs est simple, mais très-difficile à bien jouer» ? Au Commentaire sur Corneille (1761) : «Cette scène est beaucoup plus difficile à jouer qu’aucune autre» ? (Merci à Tout Voltaire.) On ne le sait.

Une chose est sûre, cependant : Voltaire, lui qui aimait tant jouer au théâtre, que ce soit difficile ou pas, n’a pas que des amis, hier comme aujourd’hui.

 

Référence

Melançon, Benoît, Nos Lumières. Les classiques au jour le jour, Montréal, Del Busso éditeur, 2020, 194 p.