Il y a gang et gang

Le gouvernement du Québec — souhait louable — aimerait que les jeunes de la province ne deviennent pas membres d’un gang (de rue). Il a créé un site de prévention pour cela, Choisis ton gang (merci à @PimpetteDunoyer pour le lien).

Cette injonction est bien étrange.

Au Québec, gang n’est substantif masculin que pour désigner une organisation criminelle (un gang de rue, le gang de l’Ouest).

Le reste du temps, comme synonyme de bande, il est féminin et se prononce gagne (la gagne de ma rue, ma gagne de l’Ouest).

Autrement dit, quand le gouvernement du Québec enjoint à un jeune de choisir son gang, il ne lui laisse pas le choix : ce sera une bande de criminels.

P.-S. — Une âme plus charitable que l’Oreille tendue pourra voir dans ce slogan un jeu de mots. Si c’est le cas, il n’est guère réussi.

P.-P.-S. — Exemple cinématographique, qui ne simplifie pas les choses : la Gang des hors-la-loi (2014).

Proposition de moratoire du jeudi matin

L’Oreille tendue a déjà dit son agacement devant l’expression faire en sorte que, qui a remplacé faire que dans presque toutes les situations.

(Définition du Petit Robert, édition numérique de 2014 : «Faire en sorte que [et le subj.] : s’arranger pour que, veiller à ce que… => tâcher.»)

On la trouve au cinéma, par exemple dans la version doublée au Québec de l’Université des monstres (2013).

La langue parlée en raffole.

Les journaux ne peuvent plus s’en passer. Ci-dessous, trois exemples, sous forme d’exercices : dans les phrases suivantes, remplacez faire en sorte que par faire que; demandez-vous si la première expression est nécessaire. (Ne tenez pas compte de la concordance des temps; vous n’y arriveriez pas.)

«La situation fait en sorte que des emplois sont en jeu» (Mélanie Joly, le Devoir, 15 août 2013, p. A2).

«Parce que le copinage, la complaisance, l’obsession du vedettariat, la dictature de la cote d’écoute ou du clic sur le web font en sorte que la frontière n’est pas toujours étanche entre le journalisme et la publicité» (la Presse, 11 juin 2013, cahiers Arts, p. 5).

«Au Québec, cela ferait en sorte que les marchands en tous genres ne pourraient offrir des nouveautés à n’importe quel prix pendant quelques mois» (le Devoir, 5 juin 2013, p. B8).

Poser la question, c’est y répondre.

P.-S. — Cas extrême, encore que fréquent : utiliser faire en sorte que avec un sujet inanimé («La situation fait en sorte que»).

P.-P.-S. — Cet usage n’est pas récent. Une collègue de l’Oreille, Élisabeth Nardout-Lafarge, avait attiré son attention sur ce phénomène il y a bien dix ans.

 

[Complément du 25 septembre 2014]

Dans la Presse+ du jour, section des sports : «Ses performances ont fait en sorte qu’il est resté.»

Accouplements 08

Raymond Chandler, Lettres, 1970, couverture

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux textes d’horizons éloignés.)

Dans le Devoir des 6-7 septembre 2014, sous la signature de Christian Desmeules (p. F1) :

Peut-on échapper à l’éternel retour du narrateur enfant dans notre littérature ?

Dans une lettre de Raymond Chandler à Alex Barris, le 16 avril 1949 :

Tous les jeunes scénaristes et les jeunes metteurs en scène s’y sont essayés. «Faisons de la caméra un personnage»; à un moment ou à un autre, on a entendu ça à toutes les tables de Hollywood (éd. 1970, p. 145).

En matière de procédé : du pareil au même.

 

Référence

Chandler, Raymond, Lettres, Paris, Union générale d’éditions, coll. «10/18», 794, 1970, 309 p. Traduction de Michel Doury. Préface de Philippe Labro.

Maurice Richard, 1921-2000

L’Oreille tendue s’intéresse depuis plusieurs années aux relations de la culture et du sport (surtout du hockey).

Cela a donné un ouvrage collectif, un livre sur Maurice Richard, un livre sur la langue de puck et des articles divers (on en trouvera quelques-uns , en format numérique). Cela a aussi donné des entrées ici même.

Maurice Richard étant né un 4 août, voici quelques textes du blogue qui portent (en partie) sur lui.

Sur hockey et chanson, ici et

Sur Hitler

Sur les «fantômes du Forum»

Sur le flambeau des Canadiens de Montréal

Sur le crottin de cheval

Sur tabarnac/k

Sur le mazout

Sur la bande dessinée

Sur les lectures des sportifs

Sur Émile «Butch» Bouchard

Sur le pont Champlain (L’Oreille semble avoir oublié son premier texte quand elle a écrit le second.)

Sur la langue du hockey (dans la série «Dictionnaire des séries»)

Sur Jean Béliveau

Sur Guy Lafleur

Sur Roch Carrier

Sur le mythe, en poésie, au cinéma et dans la presse

Sur le but du 8 avril 1952

Sur celui du 16 avril 1953

Sur William Faulkner

Sur le tir du revers

Sur la mort de Maurice Richard, ici, et ailleurs

Sur Mordecai Richler

Ça va commencer à bien faire.

 

[Complément du 26 mai 2020]

Il semble que ce n’était pas tout à faire fini…

Sur la Tchécoslovaquie

Sur Gordie Howe

Sur (encore) le nom d’un pont

Sur Pat Quinn

Sur des bandes dessinées en anglais (ici et ) et en français

Sur Jean Béliveau (bis)

Sur Guy Lafleur (bis)

Sur le but du 3 février 1945

Sur l’éducation

Sur l’Émeute (une série de textes)

Sur Clarence Campbell

Sur Dollard Saint-Laurent

Sur Jackie Robinson

Sur René Lecavalier

Sur Pierre Bourgault

Sur Gilles Marcotte

Sur un sondage

Sur la poésie richardienne (ici, , ailleurs)

Sur Gerry McNeil

Sur Mohamed Ali (ici et )

Sur la circonscription électorale Maurice-Richard

Sur des timbres

Sur des contrats

Sur le 28 décembre 1944

Sur les «fantômes du Forum» (bis)

Sur le 11 mars 1996

Sur le 23 mars 1944

Sur une exposition

Sur le Rocket de Laval

Sur une chambre d’hôtel

Sur une affiche

Sur Henri Richard

Et ajoutons une vidéo

 

[Complément du 4 août 2023]

Et encore…

Sur un colloque

Sur le vin et la bière

Sur un mythe bien de chez nous

Sur le Rocket dans l’espace public

Sur un Maurice Richard pour les enfants

Sur une publicité richardienne

Sur une épopée romanesque

Sur une conférence

Sur les masques de gardiens

Sur la royauté

Sur Roch Carrier

Sur les murs d’une taverne

Sur des murales montréalaise

Sur la barbe de Maurice Richard

Sur les yeux de Bill Ezinicki

Sur les yeux de Martin Saint-Louis

Sur l’art perdu de la lettre de rétractation

Sur une photo célèbre

Sur le maillot des Canadiens de Montréal

Sur une carte postale

Sur des chansons jazz

 

Les Yeux de Maurice Richard, édition de 2012, couverture

Lectures de Ballon

Pierre Popovic, le Dzi, 2009, couverture

Comme tout un chacun, l’Oreille tendue a ses préférences en matière de lectures sportives : le hockey, mais, d’abord et avant tout, le baseball. Cela étant, œcuménique comme il lui arrive d’être, elle lit itou des livres sur le football (le soccer). Lesquels ? Ceux-ci, entre autres, pour le plaisir.

Ancion, Nicolas, «L’album de foot», dans Les ours n’ont pas de problème de parking, Saint-Cyr sur Loire, publie.net, coll. «Fiction 17», 2011. Édition numérique. Édition originale : 2001. https://www.publie.net/livre/les-ours-nont-pas-de-probleme-de-parking/

Une citation, au hasard : «Le football, c’est pas un sport pour les difformes.»

Barthes, Roland, le Sport et les hommes. Texte du film le Sport et les hommes d’Hubert Aquin, Montréal, Presses de l’Université de Montréal, 2004, 79 p. Ill. Préface de Gilles Dupuis.

Le hockey, la corrida, la course automobile, le cyclisme — et le football, dans le cadre d’une réflexion sur sport et nation.

Ce court texte, écrit pour un film d’Hubert Aquin, a été traduit en anglais, en espagnol, en allemand, en japonais, etc.

Bureau, Jérôme, avec la collaboration de Jules Chancel (édit.), l’Amour foot. Une passion planétaire, Paris, Autrement, coll. «Mutations-Poche», 17, 1993, 283 p.

L’Oreille n’a pas le livre sous les yeux et elle l’a lu il y a plus de quinze ans, mais ses notes sont formelles : parmi les textes à retenir, il y a celui de François Bon sur le Heysel (p. 14-19). Elle n’aurait pas cru possible l’association du nom de son ami et de ce sport.

Courson, Jacques de et André Joyal, avec la collaboration de Luciana Vargas Netto Oliveiras, À la découverte du Brésil, Montréal, Del Busso éditeur, 2014, 197 p. Ill.

L’éditeur de l’Oreille tendue vient de publier un livre sur le Brésil, pays hôte de la présente Coupe du monde. Il y est évidemment question de football («La culture et le sport», p. 155-167).

Didion, Philippe, Notules dominicales de culture domestique, Saint-Cyr sur Loire, publie.net, coll. «Temps réel», 2008, 355 p. Édition numérique.

Le Notulographe est un partisan assidu des matchs du S.A. Épinal. Si si.

Enquist, Per Olov, Une autre vie. Récit, Arles, Actes Sud, coll. «Lettres scandinaves», 2010, 475 p. Traduction de Lena Grumbach et Catherine Marcus. Édition originale : 2008.

L’auteur, qui parle de lui-même à la troisième personne et au présent, se souvient de son enfance : «Le village est divisé en deux moitiés, une impie et une religieuse» (p. 39). C’est dans l’«impie» que jouent les Comètes de Hjoggböle. Le petit garçon n’a pas le droit d’assister à leurs matchs, mais il les entend de son jardin : «Derrière la haie d’églantiers, il intercepte l’appel du péché sportif» (p. 40).

Foer, Franklin, How Soccer Explains the World. An Unlikely Theory of Globalization, New York, Harper Perennial, 2007, 261 p. Édition originale : 2004.

Il n’est pas toujours facile d’aimer le sport, ainsi que le démontre ce récit de voyage sur la planète foot.

Gautier, Laurent, Notices, manuels techniques et modes d’emploi. Roman, Paris, Gallimard, 1998, 119 p.

Le personnage principal de ce roman, Paul Gautier, est gardien de but; on le voit à l’œuvre, façon de parler, dans un match que son équipe doit nécessairement perdre (p. 28-32). L’Oreille a de l’affection pour ce texte.

Klinkenberg, Jean-Marie, Petites mythologies belges, Bruxelles, Les impressions nouvelles, coll. «Réflexions faites», 2009 (édition revue et considérablement augmentée), 175 p.

Pour saisir la Belgique — Jean-Marie Klinkenberg est un excellent guide —, il faut comprendre «Une opposition structurante : Anderlecht vs Standard» (p. 130-133). Philosophiquement, cela donne : «Le Standard c’est Aristote. Anderlecht c’est Platon» (p. 133).

Kundera, Milan, La vie est ailleurs, Paris, Gallimard, coll. «Folio», 834, 1987, 473 p. Traduit du tchèque par François Kérel. Postface de François Ricard. Nouvelle édition revue par l’auteur.

Sur le modèle d’un match de foot, discussion entre onze poètes et le public venu les entendre à l’invitation de la police (p. 344-346).

Mauvignier, Laurent, Dans la foule, Paris, Éditions de Minuit, 2006, 372 p.

Le roman pour dire le mal : Heysel, 1985.

Müller, Denis, le Football, ses dieux et ses démons. Menaces et atouts d’un jeu déréglé, Genève, Labor et Fides, coll. «Le champ éthique», 49, 2008, 254 p.

Il y a des théologiens qui s’intéressent au hockey et d’autres au football.

Parks, Tim, Adultère et autres diversions, Paris, Christian Bourgois, 2000, 225 p. Traduction de Jean Guiloineau. Édition originale : 1998.

La preuve que les intellectuels peuvent très bien aller au stade (en Italie) sans se couvrir de ridicule.

Plimpton, George, «The Smaller the Ball, the Better the Book : A Game Theory of Literature», The New York Times. http://www.nytimes.com/books/97/06/08/nnp/26049.html

La théorie générale est connue : «There are superb books about golf, very good books about baseball, not many good books about football or soccer, very few good books about basketball and no good books at all about beach balls.» Plus petite est la balle (golf < baseball < football ou soccer < basketball < ballon de plage), meilleur est (serait) le livre.

Pour le soccer, en particulier, le jugement est sans appel (mais contestable) : «Soccer has no important literature at all that I can find, though it is such a universal activity that surely I am at fault here — I must have missed a South American novel, or a Yugoslav’s essay on the bicycle kick, or an appreciation by a Frenchman on the existential qualities of the game. Albert Camus once played goal for the Oran Football Club of Algiers, but he did not seem moved to write about it. The best I have come across is Pele’s “My Life and The Great Game,” a fine, literate account of the Brazilian’s astonishing career. The evident lack may have something to do with the practitioners of the game, who tend to be more agile with their feet than with articulation. A well-known definition is that soccer is a gentleman’s game played by thugs, whereas rugby is a thug’s game played by gentlemen. This might hold, but in fact I don’t know that rugby has produced much of a literature either

Popovic, Pierre, le Dzi. Nouvelles, Montréal, Fides, 2009, 163 p.

La nouvelle éponyme (p. 59-123) s’ouvre et se clôt sur les mêmes mots : «Le vrai buteur est patient et taiseux.» Elle fait la démonstration que le sport est affaire de vitesse.

Le même Pierre Popovic est l’auteur d’une excellente lecture du livre de Tim Parks évoqué ci-dessus : «Avatars footballistiques de l’idée de stade : Éric Cantona, Tim Parks», dans Yan Hamel, Geneviève Lafrance et Benoît Melançon (édit.), Des mots et des muscles ! Représentations des pratiques sportives, Québec, Nota bene, 2005, p. 117-138.

Suaudeau, Jean-Pierre, la Partie, publie.net, 2014. Édition numérique. http://www.publie.net/livre/partie-jean-pierre-suaudeau/

Milieu défensif, le numéro 6 fait vivre à ses lecteurs toutes les phases du match — «Approche», «Échauffement», «Première mi-temps», «La mi-temps», «Deuxième mi-temps», «Fin de partie». Aucun lyrisme : «je n’aime pas les joueurs à mon image, ceux qui ne cherchent pas à briller, dont l’activité consiste à détruire le jeu, à récupérer Ballon, à le passer à un équipier plus talentueux». Le sport est une guerre, et contre soi-même.

Toussaint, Jean-Philippe, la Mélancolie de Zidane, Paris, Éditions de Minuit, 2006, 17 p.

«La mélancolie de Zidane est ma mélancolie, je la sais, je l’ai nourrie et je l’éprouve» (p. 12). Toutes les occasions de lire Jean-Philippe Toussaint, même une agression footballistique, sont bonnes. (Dans l’Urgence et la patience [Paris, Éditions de Minuit, 2012, 106 p.], Toussaint a même un conseil pour les joueurs de foot.)

[Depuis la mise en ligne de ce texte, Toussaint a publié Football, Paris, Éditions de Minuit, 2015, 122 p. L’Oreille tendue en parle ici.]