Les zeugmes du dimanche matin et de Simenon

Simenon, les Trois Crimes de mes amis, 1938, couverture

«Il y a quelques semaines, loin de Liège et de notre jeunesse, la police de Nantes était avisée par une lettre anonyme que des faits étranges se passaient dans une cave» (p. 34).

«Et je m’achetai un chapeau melon. Je n’avais jamais porté de chapeau melon, mais je considérais que cela s’harmonisait avec ma nouvelle dignité et avec mes guêtres» (p. 41).

«Enivré de printemps et de gloire, je vivais une grisante période d’ongles propres, de cosmétique et de guêtres gris souris» (p. 42).

Georges Simenon, les Trois Crimes de mes amis, dans Tout Simenon 21, Paris et Montréal, Presses de la Cité et Libre expression, coll. «Omnibus», 1992, p. 7-88. Édition originale : 1938.

 

(Une définition du zeugme ? Par .)

Le zeugme du dimanche matin et de Marie-Jeanne Riccoboni

Mme Riccoboni, Lettres d’Adélaïde de Dammartin, éd. de 2005, couverture

«[…] la perte d’un procès m’enleva mon père et ma fortune.»

Lettre de Marie-Jeanne Riccoboni à David Garrick, dans Marie-Jeanne Riccoboni, Lettres d’Adélaïde de Dammartin, comtesse de Sancerre, au comte de Nancé, son ami. Roman, Paris, Desjonquères, coll. «XVIIIe siècle», 2005, 167 p., p. 17 n. 6. Présentation, établissement du texte et annotation de Pascale Bolognini-Centène. Édition de 1786.

P.-S.—Il a déjà été question de ce roman ici.

 

(Une définition du zeugme ? Par .)

La machine de la mémoire

Élisabeth Nardout-Lafarge, Carnet d’inventaire, 2023, couverture

(Transparence, totale comme on dit à la Presse+ : l’Oreille tendue et Élisabeth Nardout-Lafarge ont longtemps été collègues.)

 

«Va savoir qui se souvenait de quoi.»

C’est un abécédaire, d’«Abitibi» à «Ysengrin», en passant par «Silence». L’épistolarité est partout : lettres, courriels, cartes postales, mots de condoléances, courrier du cœur, manuels de civilité, lettres de recommandation, cartes de vœux, invitations, etc. Il est question de langue à presque toutes les pages : mots, expressions, noms propres (lieux, personnes), surnoms et pseudonymes, accents, tics d’écriture, étymologies et «bribes de […] parole» (p. 195) font tourner «la machine de la mémoire» (p. 148), d’abord la familiale. Pierre Bergounioux, François Bon, Annie Ernaux et Pierre Michon sont cités — et le rapprochement va de soi. (Martine Sonnet y aurait été qu’on n’aurait pas été étonné.) Certaines phrases sont parfaitement cadencées : «“Quand même !” signalait chez elle [la mère] l’étendue de la bévue, de la faute, de l’offense, et le bien-fondé, la légitimité, l’évidence de sa réprobation» (p. 183).

Le Carnet d’inventaire d’Élisabeth Nardout-Lafarge — «je suis plus près aujourd’hui du bilan que du programme» (p. 150) —, c’est de la magnifique ouvrage, qui a tout pour ravir l’Oreille.

 

Référence

Nardout-Lafarge, Élisabeth, Carnet d’inventaire, Montréal, Leméac, 2023, 237 p.

In memoriam : Bernard Beugnot (1932-2023)

Photo de Bernard Beugnot jeune

Il a été un grand dix-septiémiste, qui a influencé nombre de parcours; en témoignent les deux volumes d’hommages qui lui ont été offerts, le premier en 1999, le deuxième en 2013. On lui doit notamment des travaux fondateurs sur la retraite à l’âge classique.

Spécialiste d’histoire de la littérature, de génétique littéraire et d’édition critique, il a édité aussi bien Guez de Balzac que Hubert Aquin, Francis Ponge et Jean Anouilh.

L’automne dernier, à 90 ans, il publiait un court essai, «À l’écoute du singulier : paysages littéraires, paysages intérieurs», dédié «À [ses] anciens étudiants», dans lequel il livrait sa conception de la littérature.

Faire l’apologie de la littérature, sans ignorer qu’elle a aussi servi de mauvais maîtres, c’est revendiquer la liberté de penser, d’écrire, de parler, la possibilité de parcourir et de découvrir le monde dans l’espace d’une chambre, de refuser la pensée unique, la mode, la brièveté à la place de la méditation, la dévoration du temps à la place de sa dégustation. C’est aussi affirmer que le legs du futur s’accumule sur le legs du passé (p. 176).

Il a été le premier à engager l’Oreille tendue à ce qui s’appelait encore le Département d’études françaises de l’Université de Montréal.

Il a présidé son jury de thèse, en 1991, sur la correspondance de Diderot, car il a beaucoup écrit sur la pratique de la lettre.

Bernard Beugnot est mort au début de cette semaine.

Après Gilles Marcotte, Laurent Mailhot, Réal Ouellet et Jacques Brault, c’est un autre défenseur essentiel des études littéraires québécoises qui n’est plus.

 

P.-S.—Sur le site Fabula, Patrick Dandrey publie un «Hommage à Bernard Beugnot».

P.-P.-S.—Au cours des années 1980, Bernard Beugnot a remporté — si la mémoire de l’Oreille est bonne — le troisième prix du magazine culinaire Sel & poivre pour son coulis de framboises. Ses étudiants de l’époque avaient été un brin étonnés.

 

[Complément du 13 mars 2023]

La Société des lecteurs de Francis Ponge a rendu hommage à Bernard Beugnot .

 

[Complément du 27 juin 2023]

Pour l’Association des professeures et professeurs retraités de l’Université de Montréal, l’Oreille tendue a aussi rédigé ceci (PDF).

 

[Complément du 11 juillet 2023]

Des amis à lui ont mis à jour le site de Bernard Beugnot. On y trouvera plusieurs autres hommages.

 

Références

Beugnot, Bernard, «À l’écoute du singulier : paysages littéraires, paysages intérieurs», dans Pascal Bastien (édit.), Notre première modernité. Éloge des humanités en onze parcours, Montréal, Leméac, coll. «Domaine histoire», 2022, p. 171-185.

Martel, Jacinthe et Robert Melançon (édit.), Inventaire, lecture, invention. Mélanges de critique et d’histoire littéraires offerts à Bernard Beugnot, Montréal, Université de Montréal, Département d’études françaises, coll. «Paragraphes», 18, 1999, 447 p. Ill.

Van der Schueren, Éric et Matthieu Fortin (édit.), De la permanence. Études offertes à Bernard Beugnot pour son quatre-vingtième anniversaire, Paris, Hermann, «Collections de la République des lettres», 2013, 260 p.

Bouteille (hockeyistique) à la mer

Article du Petit Journal du 18 juin 1939 sur la tournée européenne des Canadiens de Montréal

«Le commissaire de la Ligue nationale [de hockey], Gary Bettman, a ouvert la porte récemment à un séjour du Canadien en Europe dans les prochaines années», écrit Alexandre Pratt dans la Presse+ du jour. Le journaliste évoque alors sept villes qui pourraient accueillir l’équipe et demande à ses lecteurs des suggestions d’autres villes intéressantes. Au passage, il rappelle qu’elle a joué à Paris en 1938.

L’Oreille tendue, en 2011, a consacré quelques lignes à la tournée de 1938.

À leur retour d’une tournée européenne, des joueurs des Canadiens de Montréal et des Red Wings de Détroit — c’est du hockey — signent une lettre qu’ils mettent dans une bouteille. Ils jettent celle-ci à la mer, du pont de l’Aurania, le 20 mai 1938. Un douanier la retrouve à Hendaye, au Pays basque, un an et trois jours plus tard. Le Petit Journal du 18 juin 1939 s’en réjouit, carte maritime à l’appui. Voilà un mode de communication fiable, encore qu’un peu lent.

Si les Canadiens retournent bientôt en Europe, peuvent-ils prendre le bateau et relancer cette pratique ? Ce serait bienvenu.

P.-S.—En effet, il a déjà été question de bouteilles à la mer ici.

 

Référence

Melançon, Benoît, Écrire au pape et au Père Noël. Cabinet de curiosités épistolaires, Montréal, Del Busso éditeur, 2011, 165 p. Le texte sur l’Aurania se trouve p. 79.

Benoît Melançon, Écrire au pape et au Père Noël, 2011, couverture