Des applications au théâtre

Simon Boudreault, Je suis un produit, 2021, couverture

Grimod de La Reynière, dans la 23e livraison du Censeur dramatique, le 9 avril 1798, disait des applications qu’elles «font allusion à quelques événements politiques, ou à quelques personnages célèbres, auxquels le public applique certains passages de telle ou telle pièce qui paroissent lui convenir».

Pour le dire autrement : au théâtre, les spectateurs mettent au goût du jour (ils appliquent) ce qu’ils entendent; n’importe quelle pièce peut sortir de son époque pour entrer dans celle de son public. Pendant la Révolution française, par exemple, on pouvait faire une lecture «révolutionnaire» de pièces de Marivaux écrites… soixante ans plus tôt.

Le spectacle Je suis un produit, de Simon Boudreault, est actuellement monté à La Licorne, à Montréal, par Simoniaques théâtre. La base de l’intrigue est simple : une Marocaine (fictive) choisit de porter le voile pour obtenir un emploi.

L’Oreille tendue a vu la pièce hier soir. Plus tôt dans la journée, une enseignante (réelle) a été retirée de sa classe, à Gatineau, pour avoir porté le voile. Elle n’a pas perdu son emploi, mais elle a été mutée.

Les applications peuvent être éloignées dans le temps. Elles peuvent aussi être très proches. Elles n’ont pas du tout échappé au public de la représentation de la pièce de Boudreault du 9 décembre.

P.-S.—L’Oreille tendue doit à Martin Nadeau la découverte des applications et la citation de Grimod de La Reynière (2006, p. 93).

P.-P.-S.—Oui, ce Simon Boudreault-.

P.-P.-P.-S.—Allez-y.

 

[Complément du 10 décembre 2021]

À ce billet rédigé un peu rapidement, il manquait une citation : «Tu peux pas me renvoyer à cause de mon voile. C’est de la discrimination» (p. 125).

 

Références

Boudreault, Simon, Je suis un produit, Montréal, Dramaturges éditeurs, 2021, 157 p.

Nadeau, Martin, «Des héroïnes vertueuses : autour des représentations de la pièce Paméla (1793-1797)», Annales historiques de la Révolution française, 344, avril-juin 2006, p. 93-105. https://doi.org/10.4000/ahrf.6073

Nadeau, Martin, «Le théâtre de Marivaux et la Terreur», Lumen. Travaux choisis de la Société canadienne d’étude du dix-huitième siècle. Selected Proceedings from the Canadian Society for Eighteenth-Century Studies, XXII, 2003, p. 15-26. https://doi.org/10.7202/1012256ar

Accouplements 175

Olympe de Gouges, pièce commémorative, 2017

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux œuvres, ou plus, d’horizons éloignés.)

Beaumarchais, la Folle Journée ou le mariage de Figaro, dans Théâtre, Paris, Garnier, coll. «Classiques Garnier», 1980, xxxi/475 p., p. 323-323, acte V, sc. XII. Texte établi, introduction, chronologie, bibliographie, notices, notes et choix de variantes par Jean-Pierre de Beaumarchais. Édition originale : 1784.

Le comte, furieux.

Taisez-vous donc ! (À Figaro, d’un ton glacé.) Mon cavalier, répondez-vous à mes questions ?

Figaro, froidement.

Eh ! qui pourrait m’en exempter, Monseigneur ? Vous commandez à tout ici, hors à vous-même.

Olympe de Gouges, Mirabeau aux Champs-Élysées, dans Théâtre politique, Paris, côté-femmes éditions, coll. «Des femmes dans l’histoire», 1991, 244 p., p. 111, sc. IV. Préface de Gisela Thiele Knobloch. Édition originale : 1791.

Louis XIV

Cette égalité n’est pas mon élément : je sens que je devrais régner.

Henri IV

Sur tes passions, sans doute; mais ta raison est donc bien faible ? puisqu’elle n’a pu encore te faire jouir de la tranquillité dont nous jouissons tous.

Actualité cinématographique des Lumières

L’Oreille tendue est dix-huitiémiste de son état. Non seulement elle s’intéresse à la culture du XVIIIe siècle, mais aussi aux traces de cette culture aujourd’hui. En 2020, elle a même publié un livre sur le sujet, Nos Lumières.

Quand, à l’été 2021, les réseaux sociaux se sont mis à jouer avec une photo prise au Festival de Cannes, elle a ajouté son grain de sel, sur Twitter. Qui voit-on sur cette photo ? «Sade, Casanova, le chevalier d’Éon, Voltaire.»

Festival de Cannes, 2021

Prise à la première du film House of Gucci, une autre photo a attiré des dix-huitiémistes.

House of Gucci, 2021

Commentaire de Russell Goulbourne, encore sur Twitter : «Diderotistes, Voltairistes, Rousseauistes.» Réponse de Benjamin Hoffmann : «Sadiens, Casanovistes, Balzaciens.»

Qui a dit que le Siècle des lumières était terminé ?

 

Référence

Melançon, Benoît, Nos Lumières. Les classiques au jour le jour, Montréal, Del Busso éditeur, 2020, 194 p.

Benoît Melançon, Nos Lumières, 2020, couverture