Bâtard !

Nuage de jurons, Francis Desharnais et Pierre Bouchard, Motel Galactic. 2. Le folklore contre-attaque, 2012, case

Le 8 juin, le site du Robert accueillait une réflexion de la linguiste Anne Abeillé sur le mot bâtard : étymologie, sens, évolution, etc. Si le mot, dans le français du Québec, a les mêmes emplois qu’ailleurs dans la francophonie, il y a aussi un autre usage : c’est un juron.

Selon une «Analyse de l’utilisation des jurons dans les médias québécois» publiée en septembre 2003 par Influence Communication — étude qui paraît avoir disparu du Web —, celui-là arrivait en 28e position (sur 52) dans la liste «Les jurons les plus populaires» (p. 11).

Le personnage de Gérard D. Laflaque le pratiquait volontiers.

On l’a déjà vu chez le romancier Jean-François Chassay en 2006 : «J’ai l’impression de ne jamais avoir de bâtard de vocabulaire quand j’ouvre la bouche pis pas une ostie d’idée quand j’ouvre mon cerveau !» (p. 288)

On le croise dans Morel (2021) de Maxime Raymond Bock : «Prendre le métro aujourd’hui est une aventure, mais, bien qu’il trouve que le train roule vite en bâtard, cela lui fait plaisir de raconter à Catherine comment il l’a construit, ce métro qu’elle emprunte tous les jours […]» (p. 304).

On le trouve sous la plume de Michel Tremblay dans Albertine en cinq temps (1984) : «La rue Fabre, les enfants, le reste de la famille… bâtard que chus tannée…» (éd. de 2007, p. 16)

La richesse des jurons québécois ne se dément jamais.

 

Illustration : Francis Desharnais et Pierre Bouchard, Motel Galactic. 2. Le folklore contre-attaque, Montréal, Éditions Pow Pow, 2012, 101 p., p. 86.

 

Réféfences

Chassay, Jean-François, les Taches solaires. Roman, Montréal, Boréal, 2006, 366 p., p. 288-289.

Raymond Bock, Maxime, Morel. Roman, Montréal, Le Cheval d’août, 2021, 325 p.

Tremblay, Michel, Albertine, en cinq temps, Montréal et Arles, Leméac et Actes Sud, coll. «Papiers», 2007, 61 p. Édition originale : 1984.

Accouplements 179

Le premier ministre du Canada, Justin Trudeau, en conférence de presse, le 5 décembre 2022

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux œuvres, ou plus, d’horizons éloignés.)

Des «influenceurs» québécois perturbent un vol d’avion, au grand dam du premier ministre du Canada : «Quand une gang de sans-dessein décide de partir comme des ostrogoths en vacances, c’est extrêmement frustrant» (conférence de presse du 5 janvier).

En novembre 1764, Diderot découvre qu’il a été censuré par son propre libraire, Le Breton. Le 12, il lui écrit ceci :

À votre ruine et à celle de vos associés qu’on plaindra, se joindra, mais pour vous seul, une infamie dont vous ne vous laverez jamais. Vous serez traîné dans la boue avec votre livre, et l’on vous citera dans l’avenir comme un homme capable d’une infidélité et d’une hardiesse auxquelles on n’en trouvera point à comparer. C’est alors que vous jugerez sainement de vos terreurs paniques et des lâches conseils des barbares Ostrogoths et des stupides Vandales qui vous ont secondé dans le ravage que vous avez fait. Pour moi, quoi qu’il en arrive, je serai à couvert. On n’ignorera pas qu’il n’a été en mon pouvoir ni de pressentir, ni d’empêcher le mal, quand je l’aurais soupçonné. On n’ignorera pas que j’ai menacé, crié, réclamé (Correspondance, p. 487).

Justin Trudeau n’aurait-il pas dû préférer «vandales» à «sans-dessein» ? Le débat est ouvert.

 

[Complément du jour]

Hergé, lui, savait, dès Coke en stock (p. 49). (Merci à @revi_redac.)

 

Hergé, Coke en stock, 1958, p. 49, 3, c

 

Références

Diderot, Denis, Œuvres. Tome V. Correspondance, Paris, Robert Laffont, coll. «Bouquins», 1997, xxi/1468 p. Édition établie par Laurent Versini.

Hergé, Coke en stock, Tournai, Casterman, coll. «Les aventures de Tintin», 19, 1967, 61 p. Édition originale : 1958.

Autopromotion (indirecte) 593

Michel Porret, Objectif Hergé, 2021, couverture

À ses heures perdues — façon de parler —, l’Oreille tendue offre ses services d’éditrice conseil. Il y a quelques années, cela a mené à la publication de Nouvelles obscurités, d’Alex Gagnon, chez Del Busso éditeur. Ces jours-ci, paraît un ouvrage de Michel Porret, Objectif Hergé. «Tintin, voilà des années que je lis tes aventures», aux Presses de l’Université de Montréal.

Qui est Michel Porret ?

«Michel Porret est professeur honoraire d’histoire moderne à l’Université de Genève et président des Rencontres internationales de Genève. Il travaille sur les Lumières, l’utopie, la justice pénale, la médecine légale et la bande dessinée» (quatrième de couverture).

C’est aussi un vieil ami de l’Oreille, qui a publié un de ses livres précédents. Ensemble, ils ont édité ceci.

De quoi le livre parle-t-il ?

«Tout commence en 1930 dans la violence de la révolution bolchevique au pays des Soviets. Tout se boucle en 1986 dans l’univers huppé de l’art contemporain. Entre la lutte des classes et la polémique esthétique, la saga de Tintin est une quête du bien dans la violence de l’histoire du XXe siècle. De la Terre à la Lune, entre mer, désert et cimes, flanqué du socratique Milou puis de l’ivrogne au grand cœur Haddock, le petit Don Quichotte qui aime les livres affronte tous les bandits du monde. Environ 12 000 vignettes en noir et blanc puis en couleurs : culminant dans le silence de la ligne claire, la saga de Tintin est une aventure esthétique et humaine. Cet essai ludique y revient au prisme de son imaginaire social qui en fait une œuvre universelle jusque dans la relation parodique» (quatrième de couverture).

Il est organisé comment ?

Abréviation des titres des albums de Tintin

Prélude

Chapitre I. L’ennemi de tous les bandits du monde

Elle n’a pas existé la fusée lunaire !
Au musée
Tintin est mort
Haddock, le grand seigneur
Tuer Topolino ?
La baraka
La figuration narrative
La ligne claire
L’aventure inconnue
La tintinologie
La relation parodique

Chapitre II. Le petit Don Quichotte

Bolchevisme, colonialisme et crime organisé
Les peuples se connaissent mal
Mais c’est la guerre cela, Monsieur !
Les faussaires
L’Anschluss
Narcotrafiquants et pirates
Les négriers
Vive la paix !

Chapitre III. Les bandits ! Qu’ont-ils fait de mes livres ?

La presse
Les faits divers
L’ocularisation
Le tempo de l’aventure
Les bibliothèques
La bibliothèque de Tintin
La lecture enchâssée en vignettes

Chapitre IV. Le silence de la ligne claire

Voir le bruit
L’arrière-pays sonore
La vignette aphasique
Écoutez-le, ce silence !
L’assonance du timbre fêlé
Silence !…Lancez le son
C’est fini, mille sabords !

Objectif vie : à Arsène

Annexe. Hergé : Les aventures de Tintin

Sources, reconnaissance

Il serait difficile à l’Oreille de ne pas en recommander la lecture.

 

Référence

Porret, Michel, Objectif Hergé. «Tintin, voilà des années que je lis tes aventures», Montréal, Presses de l’Université de Montréal, coll. «Champ libre», 2021, 160 p. Ill.

Accouplements 169

Tintin aujourd’hui. Images et imaginaires, 2021, couverture

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux œuvres, ou plus, d’horizons éloignés.)

Une fois de plus, l’Oreille tendue se met à une série télévisée longtemps après tout le monde, en l’occurrence Designated Survivor.

Hier, elle regardait «La mission», le cinquième épisode de la première saison. On y voit le président désigné des États-Unis, Tom Kirkman (Kiefer Sutherland), discuter avec un responsable de l’unité d’élite des Navy SEALs, au moment de planifier l’enlèvement d’un terroriste caché en Algérie. Kirkman lui demande comment leur mission doit se dérouler : «Amateurs talk tactics, sir. Professionals talk logistics.» Le succès militaire serait donc affaire de logistique. Ce responsable y est sensible, car il ne veut pas mettre la vie de ses hommes en danger.

Plus tôt dans la journée, l’Oreille avait reçu par la poste l’ouvrage collectif Tintin aujourd’hui. Images et imaginaires (2021). Tout à l’heure, en feuilletant la table des matières, elle tombe sur l’article de Pascal Robert, «Les Aventures de Tintin. Une affaire de logistique» (p. 67-85). Que peut-on y lire ? Souvent, chez Tintin, «il s’agit de rattraper quelque méchant, de rejoindre un ami en danger, etc. Le temps presse, et cela peut être une question de vie ou de mort» (p. 67).

Hergé / Sutherland : même combat.

P.-S.—Oui, l’Oreille est tintinologue à ses heures.

Scorons avec Rock Derby

Les fidèles bénéficiaires de l’Oreille tendue le savent : elle s’intéresse aux représentations du hockey, notamment en bande dessinée (voir ).

L’image d’aujourd’hui provient de l’album les Voleurs de poupées de Greg (1960).

Greg, les Voleurs de poupées, 1960, planche initiale

Sur le plan de la langue de puck, on peut noter deux choses dans cette planche initiale.

Au Québec, hockey suffit le plus souvent (sauf pour l’autre hockey, sur gazon); le Belge Michel Greg parle de «hockey sur glace».

Quel son produit le bâton de Rock Derby quand il entre en contact avec la rondelle ? «Pok.» Cela va de soi.

 

Références

Greg, les Voleurs de poupées, 1960. Première publication dans le journal Tintin Belgique, du numéro 26/60 (29 juin 1960) au numéro 40/60 (6 octobre 1960), puis dans Tintin France, du numéro 616 (11 août 1960) au numéro 630 (17 novembre 1960). Nombreuses rééditions en album.

Melançon, Benoît, Langue de puck. Abécédaire du hockey, Montréal, Del Busso éditeur, 2014, 128 p. Préface de Jean Dion. Illustrations de Julien Del Busso.

Langue de puck. Abécédaire du hockey (Del Busso éditeur, 2014), couverture