La clinique des phrases (qq)

La clinique des phrases, logo, 2020, Charles Malo Melançon

(À l’occasion, tout à fait bénévolement, l’Oreille tendue essaie de soigner des phrases malades. C’est cela, la «Clinique des phrases».)

Soit la phrase suivante, tirée des pages sportives d’un quotidien montréalais :

Gostkowski, leur botteur depuis 2006, séjourne sur la liste des blessés depuis le 2 octobre.

S’il faut en croire le Petit Robert (édition numérique de 2019), séjourner signifierait «Rester assez longtemps dans un lieu pour y avoir sa demeure sans toutefois y être fixé.» On peut imaginer que le botteur des Patriots de la Nouvelle-Angleterre — c’est du football — ne souhaite pas «avoir sa demeure sur la liste des blessés».

Simplifions :

Gostkowski, leur botteur depuis 2006, est sur la liste des blessés depuis le 2 octobre.

Il est très bien le verbe être. On l’oublie trop souvent.

À votre service.

P.-S.—Plus puriste que l’Oreille tendue, on pourra préférer «Le nom de Gostkowski, leur botteur depuis 2006, est sur la liste des blessés depuis le 2 octobre.»

Accouplements 130

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux œuvres, ou plus, d’horizons éloignés.)

Dimanche dernier se tenait à Atlanta la LIIIe édition du Super Bowl — c’est du football américain. À la mi-temps, le groupe Maroon 5 a donné un spectacle. Certains y ont trouvé à redire.

L’Oreille tendue :

Une journaliste de la Presse :

«Maroon 5 au Super Bowl : Maroon 281», titre de la Presse, 4 février 2019P.-S.—Le 281 est un célèbre débit de boissons montréalais à la clientèle largement féminine.

Autoportrait du jour

Portrait de Laurent Duvernay-Tardif par Chris Donahue

Les amateurs de sport savent au moins quatre choses au sujet de Laurent Duvernay-Tardif : il est joueur de ligne offensive pour les Chiefs de Kansas City — c’est du football américain; il occupe beaucoup d’espace — 145 kilos sur 1,95 mètre; il étudie la médecine; il vient de signer un contrat de plusieurs saisons pour plusieurs millions de dollars.

Le Devoir du jour nous apprend qu’il a aussi le sens de l’autoportrait : «Je vais devoir faire un travail de réflexion dans les prochaines semaines, les prochains mois, essayer de réaliser ce que ça représente. [En même temps], je suis le même gars, le gars semi un peu tout croche qui est toujours partant pour faire un million de projets» (p. B4).

«Semi un peu tout croche» ? Joli.

Photo : Chris Donahue

Chinoiserie folkloricofootballistique du vendredi matin

Trophée Baquet 2014

Plus tôt cette semaine, le programme de football d’une école secondaire montréalaise honorait ses joueurs de l’année (le fils cadet de l’Oreille tendue y a fait excellente figure).

Pour la dixième fois, cette cérémonie comportait un segment confié à l’entraîneur des joueurs de ligne offensive. (La langue de foot ? Voyez par là.) On y remet les prix Baquet (le fils aîné de l’Oreille tendue y a déjà fait excellente figure).

Baquet ? Il ne s’agit évidemment pas des deux sens du mot que connaît le Petit Robert (édition numérique de 2014) : «récipient de bois, à bords bas, servant à divers usages domestiques»; «siège bas et très emboîtant des voitures de sport et de course» (comme dans siège-baquet).

Il renvoie plutôt à une personne en surcharge pondérale, mais costaude plus que molle, d’une taille limitée. On lui connaît au moins deux graphies.

Léandre Bergeron, dans son Dictionnaire de la langue québécoise (1980, p. 64), retient baquet — «Homme gros et court» — et baquèse — «Femme grasse et courte». (Grasse serait donc le féminin de gros ?)

Le Petit lexique de mots québécois […] d’Ephrem Desjardins (2002, p. 34-35) opte pour baquais, baquaise : «Personne obèse. Peut aussi servir à interpeller vulgairement une personne inconnue. “Eille, baquais, viens me voir !”»

L’Oreille chinoiserait volontiers sur ces définitions : comment peut-on être «obèse» et exceller au football ? En revanche, costaud, cela s’impose.

P.-S. — Les amateurs de musique folklorique québécoise — et les autres — connaissent l’expression «Swigne la baquaise / baquèse dans l’fond d’la boîte à bois». Son sens vous échappe ? Prière de vous adresser à Fred Pellerin.

 

Références

Bergeron, Léandre, Dictionnaire de la langue québécoise, Montréal, VLB éditeur, 1980, 574 p.

Desjardins, Ephrem, Petit lexique de mots québécois à l’usage des Français (et autres francophones d’Europe) en vacances au Québec, Montréal, Éditions Vox Populi internationales, 2002, 155 p.

Patinez assis

«Je ne suis pas bien du tout assis sur cette chaise.»
De Saint-Denys Garneau, Regards et jeux dans l’espace, 1937

Des joueurs de hockey connaissent du succès grâce à leur coup de patin. D’autres doivent leur carrière à leur vision du jeu. Certains ne jurent que par la rudesse.

Et il y a des joueurs qui réussissent parce qu’ils sont dans la bonne chaise. Traduction libre : leur entraîneur a trouvé la façon optimale de les utiliser.

Des gens apprécient l’expression : «Je sais qu’il y a une perception selon laquelle on défend plus nos structures que nos joueurs, mais notre intérêt principal, c’est que le joueur soit assis dans la bonne chaise» (Sylvain Lalonde, directeur général de Hockey Québec, cité dans la Presse+, 9 mai 2016).

D’autres, moins : «Mon souhait pour la prochaine saison du CH ? Ne plus entendre qu’un joueur est ou n’est pas “dans sa chaise”. Mes oreilles saignent» (@JFBegin).

P.-S. — Cela expliquerait la belle passe que vient de faire Phillip Danault à Torrey Mitchell, sur le deuxième but des Canadiens de Montréal contre les Canucks de Vancouver. Il serait, enfin, assis dans la bonne chaise.

P.-P.-S. — Oui, c’est de la langue de puck.

 

[Complément du 4 janvier 2017]

Foi de Marc Denis, ci-devant cerbère dans la Ligue nationale de hockey, désormais commentateur et analyste au Réseau des sports (RDS), on peut «tomber» dans la bonne chaise. Il l’a du moins déclaré en ondes hier soir.

 

[Complément du 6 novembre 2017]

On peut même être employé dans une chaise. C’est la Presse+ du jour qui le dit : «Cela aussi est un signe encourageant pour l’entraîneur, car le Tricolore nageait un peu dans l’inconnu en employant [Jonathan] Drouin dans cette chaise.»

 

[Complément du 20 février 2019]

Qu’arrive-t-il quand on est dans la mauvaise chaise ? On peut être rétrogradé dans une chaise mieux adaptée, foi de lapresse.ca : «L’éclosion de Strome avec DeBrincat permet au nouvel entraîneur Jeremy Colliton de réunir Jonathan Toews à Patrick Kane au sein du premier trio et de rétrograder Artem Anisimov dans une chaise mieux adaptée à ses capacités au centre du troisième trio.»

 

[Complément du 31 juillet 2019]

La Presse+ du jour est formelle : on peut aussi jouer au football dans une chaise. Ce serait désormais le cas chez les Alouettes de Montréal : «Deux des joueurs qui semblent avoir trouvé la bonne chaise sont Patrick Levels et Greg Reid, qui évoluent tous deux du côté court. Le premier en tant que secondeur et le second comme demi défensif.»

 

[Complément du 1er avril 2020]

L’expression a aussi cours dans le monde des variétés. Jean-Philippe Wauthier l’emploie dans la Presse+ du jour : «Il faut que je trouve le bon ton pour la chaise que j’occupe.» Il est vrai qu’il anime un show de chaises.

 

[Complément du 4 mars 2021]

Dans la Presse+ du jour : «si l’on exclut le poste d’entraîneur des défenseurs, assuré à Luke Richardson jusqu’à la fin de la saison, la seule chaise importante au sein du personnel hockey à ne pas avoir changé de titulaire est maintenant celle du directeur général». Il en est, semble-t-il, du titulaire de chaise comme du titulaire de poste.

 

[Complément du 11 janvier 2023]

Les Canadiens de Montréal mettent à l’essai Jesse Ylönen. Pourquoi ? Réponse de l’entraîneur Martin Saint-Louis, sur le site du Réseau des sports : «Que tu sois un gars de troisième ligne, de deuxième ligne ou de première ligne, il y a tout le temps quelqu’un qui veut essayer de prendre ta chaise. Ylo, l’opportunité qu’il a en venant ici, c’est de voler une chaise à quelqu’un.»

Manchette de RDS : «Ylönen à Montréal pour “voler une chaise”», 11 janvier 2023

[Complément du 18 janvier 2023]

Au lieu de voler une chaise, pourquoi ne pas simplement la prendre ? «Il a été un pro, il ne s’est pas plaint, il travaille fort, a résumé St-Louis. Je suis content qu’il soit récompensé. Avec les blessures et les mauvaises performances en son absence, il prend une chaise» (la Presse+, 18 janvier 2023).

 

Référence

Melançon, Benoît, Langue de puck. Abécédaire du hockey, Montréal, Del Busso éditeur, 2014, 128 p. Préface de Jean Dion. Illustrations de Julien Del Busso.

Langue de puck. Abécédaire du hockey (Del Busso éditeur, 2014), couverture