La mémoire du Rocket

Dans la Presse+ du jour, Philippe Cantin publie un texte intitulé «La mémoire du Rocket mérite davantage». L’article paraît au moment où on commémore le vingtième anniversaire de la mort de Maurice «Rocket» Richard — c’est du hockey.

Le chroniqueur écrit notamment ce qui suit :

Je souhaite qu’un jour, une nouvelle occasion de souligner avec éclat la place du Rocket dans notre histoire se présente. Sa mémoire mérite davantage. Qu’on choisisse une rue ou une place au cœur de Montréal, fréquentée par des milliers de résidants et de touristes. La cité doit donner à son nom le retentissement approprié.

L’Oreille tendue a publié en 2006, aux Éditions Fides, les Yeux de Maurice Richard. Une histoire culturelle. Elle a consacré au même sujet plusieurs articles universitaires et de nombreuses entrées de ce blogue.

L’Oreille ne partage pas le point de vue de Philippe Cantin. Pourquoi ?

Elle l’expliquait en 2016, quand on a voulu rebaptiser la circonscription québécoise Crémazie du nom du joueur de hockey. Voici ce qu’elle écrivait alors :

À Montréal, Maurice Richard a droit à son aréna, dans l’Est de Montréal, qui a pendant quelques années hébergé un musée en son honneur. À son parc, voisin de l’endroit où il habitait, rue Péloquin, dans l’arrondissement Ahuntsic-Cartierville. À son restaurant, le 9-4-10, au Centre Bell. À son étoile de bronze sur la promenade des Célébrités, rue Sainte-Catherine, à côté de celle de la chanteuse Céline Dion. (Il a aussi sa place sur le Walk of Fame du Madison Square Garden de New York et sur le Canada’s Walk of Fame de Toronto.) À cinq statues : devant l’aréna qui porte son nom, à côté du Centre Bell, au rez-de-chaussée des cinémas AMC-Forum-Pepsi, dans le Complexe commercial Les Ailes, au Musée Grévin. À son gymnase, celui de l’école Saint-Étienne.

Il y a un lac Maurice-Richard, dans la région de Lanaudière, au nord-ouest de Saint-Michel-des-Saints. Il y a le lac et la baie du Rocket près de La Tuque. Il y a une rue Maurice-Richard et une place Maurice-Richard, à Vaudreuil-Dorion, en banlieue de Montréal.

Le Canada n’est pas en reste. L’État fédéral a érigé une statue de Maurice Richard devant le Musée canadien de l’histoire, celui où a été montée en 2004 l’exposition, devenue itinérante depuis, «Une légende, un héritage. “Rocket Richard”. The Legend — The Legacy». Il a émis un timbre à l’effigie du hockeyeur et il lui fait allusion, par Roch Carrier interposé, sur les billets de banque de 5 $. L’Oreille s’est laissé dire que, à Calgary, une «Richard’s Way» (ou serait-ce une «Richard’s Road» ?) l’aurait honoré. Du temps où les affaires allaient moins mal, il y avait une salle Maurice-Richard au siège social de Research in Motion (le Blackberry), à Waterloo; peut-être y est-elle toujours. Depuis 2012, pour atterrir à l’aéroport Pierre-Elliott-Trudeau, les pilotes peuvent emprunter un corridor aérien nommé MORIC, pour qui vous savez.

Ce n’est pas tout. La circonscription Maurice-Richard a été créée en 2016. Ses célèbres yeux sont reproduits dans le vestiaire du Rocket de Laval. Il y a maintenant une chambre d’hôtel au nom du joueur.

Il faudrait encore ajouter les innombrables manifestations du hockeyeur dans l’espace médiatique québécois et canadien. Il a été l’objet de toutes sortes d’écrits : des articles de périodiques et des textes savants, des biographies et des recueils de souvenirs, des contes et des nouvelles, des romans et des livres pour la jeunesse, des poèmes et des pièces de théâtre. Son nom apparaît dans des manuels scolaires. On lui a consacré des chansons, des bandes dessinées, des sculptures, des peintures, des films et des émissions de télévision. Son visage a orné des vêtements, des jouets, des publicités.

L’Oreille concluait ceci en 2016 : «Disons-le d’un mot : la mémoire de Maurice Richard n’est pas du tout menacée au Québec. Personne ne peut y vivre sans connaître ce nom.»

Elle n’a pas changé d’idée.

 

Référence

Melançon, Benoît, les Yeux de Maurice Richard. Une histoire culturelle, Montréal, Fides, 2006, 279 p. 18 illustrations en couleurs; 24 illustrations en noir et blanc. Nouvelle édition, revue et augmentée : Montréal, Fides, 2008, 312 p. 18 illustrations en couleurs; 24 illustrations en noir et blanc. Préface d’Antoine Del Busso. Traduction : The Rocket. A Cultural History of Maurice Richard, Vancouver, Toronto et Berkeley, Greystone Books, D&M Publishers Inc., 2009, 304 p. 26 illustrations en couleurs; 27 illustrations en noir et blanc. Traduction de Fred A. Reed. Préface de Roy MacGregor. Postface de Jean Béliveau. Édition de poche : Montréal, Fides, coll. «Biblio-Fides», 2012, 312 p. 42 illustrations en noir et blanc. Préface de Guylaine Girard.

Les Yeux de Maurice Richard, édition de 2012, couverture

Olivieri

Fermeture de la librairie Olivieri

Quand la librairie Olivieri a ouvert ses portes, l’Oreille tendue habitait à l’étranger. Ses amis l’ont prévenue dès son retour : la librairie à fréquenter, près de l’Université de Montréal, se trouvait avenue Lacombe.

Depuis, Olivieri (sur Lacombe, puis sur Gatineau, puis sur Côte-des-Neiges) était devenue la librairie de l’Oreille. Elle y commandait et elle y achetait ses livres, elle y envoyait ses étudiants, elle y assistait à des tables rondes et à des lancements, elle y mangeait (bistro oblige) et elle y causait à l’occasion. Il lui est même arrivé, au début d’une table ronde tenue dans une autre librairie, de remercier la librairie Olivieri pour son accueil ! C’est dire si elle y avait ses habitudes.

La mauvaise nouvelle est tombée ce matin : après 35 ans, Olivieri ferme.

C’est un bien triste jour.

Le meilleur des mondes commerciaux

L’oreille de l’Oreille tendue s’est tendue devant ce tweet de @LeaStreliski :

 

Hier, en effet, les concepteurs du projet montréalais Royalmount — ce beau nom français — ont fait paraître une publicité pleine page dans le quotidien le Devoir. (Ils ont aussi un site Web, royalmount.com, dont la page d’accueil est, évidemment, en anglais.)

Que raconte-t-on dans le journal ?

On découvre que la «sérénité de la nature» pourrait «rencontre[r] l’effervescence de la ville», même dans en un décor particulièrement peu naturel, au croisement de deux autoroutes surchargées, la 15 et la 40, d’où la végétation est très largement absente en l’état actuel des lieux. (Le cycliste représenté en haut à gauche devrait avoir un peu de mal à y circuler foulard au vent, ainsi que les piétons évoqués dans le texte.) Voilà probablement pourquoi cet espace commercial qui n’existe pas est déjà une «destination emblématique» : c’est la ville à la campagne et vice versa.

Regroupés en trois catégories («Vivre», «Avancer», «Innover»), tous les mots de passe de l’heure sont là : éco-innovant, expérience immersive, écosystème dynamique, durabilité, échelle humaine, qualité de vie, inclusif, valeurs, mobilité, moyens de transport actifs et écoresponsables, intégrant efficacement, revitalisant, meilleures pratiques, émissions de carbone.

On s’attendait à voir apparaître le mot communauté; on n’est pas déçu. Sous la rubrique «Innover», un texte est coiffé du titre «Une communauté diversifiée et ancrée dans la nature» :

Notre projet s’inscrit dans une démarche écoresponsable qui tient compte des changements climatiques en revitalisant un ancien site industriel. Nous nous engageons à suivre les meilleures pratiques en matière de développement durable en misant sur trois principaux piliers, soit la santé, l’environnement et la réduction des émissions de carbone.

Question naïve : où est la «communauté diversifiée» dans ces deux phrases, où il n’est question que d’environnement et pas du tout de personnes ?

On notera enfin une juteuse faute d’accord : «le rythme et l’accessibilité d’une ville se vit [sic] aussi à pied».

Foi d’Oreille, de la bien belle ouvrage.

Dormir sous le regard du Rocket

L’Oreille tendue se répète encore une fois : la mémoire du hockeyeur Maurice Richard (1921-2000) est partout au Québec et au Canada. On ne rate aucune occasion d’honorer «Le Rocket», le célèbre numéro 9 des Canadiens de Montréal.

À Montréal, Maurice Richard a droit à son aréna, dans l’Est de Montréal, qui a pendant quelques années hébergé un musée en son honneur. À son parc, voisin de l’endroit où il habitait, rue Péloquin, dans l’arrondissement Ahuntsic-Cartierville. À son restaurant, le 9-4-10, au Centre Bell. À son étoile de bronze sur la promenade des Célébrités, rue Sainte-Catherine, à côté de celle de la chanteuse Céline Dion. (Il a aussi sa place sur le Walk of Fame du Madison Square Garden de New York et sur le Canada’s Walk of Fame de Toronto.) À cinq statues : devant l’aréna qui porte son nom, à côté du Centre Bell, au rez-de-chaussée des cinémas AMC-Forum-Pepsi, dans le Complexe commercial Les Ailes, parmi les statues de cire du Musée Grévin. À son gymnase, celui de l’école Saint-Étienne.

Sur l’île de Montréal, depuis peu, la circonscription provinciale de Maurice-Richard a remplacé Octave-Crémazie. Inauguré en 2019, le pont Samuel-de-Champlain aurait pu s’appeler du nom de l’ailier droit. Il y a un lac Maurice-Richard, dans la région de Lanaudière, au nord-ouest de Saint-Michel-des-Saints. Il y a le lac et la baie du Rocket près de La Tuque. Il y a une rue Maurice-Richard et une place Maurice-Richard, à Vaudreuil-Dorion, en banlieue de Montréal.

Le Canada n’est pas en reste. L’État fédéral a érigé une statue de Maurice Richard devant le Musée canadien des civilisations, devenu le Musée canadien de l’histoire, celui où a été montée en 2004 l’exposition, devenue itinérante depuis, «Une légende, un héritage. “Rocket Richard”. The Legend — The Legacy». Il a émis un timbre à l’effigie du hockeyeur et il lui fait allusion, par Roch Carrier interposé, sur les billets de banque de 5 $. L’Oreille s’est laissé dire que, à Calgary, une «Richard’s Way» (ou serait-ce une «Richard’s Road» ?) l’aurait honoré. Du temps où les affaires allaient moins mal, il y avait une salle Maurice-Richard au siège social de Research in Motion (le Blackberry), à Waterloo; peut-être y est-elle toujours. Depuis 2012, pour atterrir à l’aéroport Pierre-Elliott-Trudeau, les pilotes peuvent emprunter un corridor aérien nommé MORIC, pour qui vous savez.

Ajoutons aujourd’hui à cette liste (au moins) deux chambres d’hôtel, où les clients peuvent dormir sous le regard du Rocket.

À Montréal, depuis quelques années, l’Hôtel 10 a une suite — la 2116 — qui honore la mémoire d’André «Dédé» Fortin. Selon des sources sûres, on y trouve un portrait de Richard.

Également à Montréal, Uville, un nouvel «hôtel-musée», fait plus fort, dixit le quotidien le Devoir : «Au 4e étage, une chambre porte les couleurs de la Sainte-Flanelle et rend hommage à Maurice Richard.» Au mur : des photos du joueur, parfois en action, son maillot.

Richard ne se trouve pas que dans cette chambre :

Au quatrième étage, les chuchotements d’une révolution en préparation semblent retentir entre les murs. Sur la place centrale, une grande fresque présente une famille réunie autour d’un crucifix. Sous ce dernier, sur un écran, le Rocket inscrit le tour du chapeau qui lui garantit sa première Coupe Stanley. «Le culte de la Sainte-Trinité faisait doucement place à celui de la Sainte-Flanelle. Tranquillement, on forgeait notre propre identité en réinventant nos repères communs», souligne [le vice-président de l’hôtel, Daniel] Gallant.

Faites de beaux rêves.

 

[Cette énumération n’est évidemment pas exhaustive. Elle reprend et développe des éléments d’un livre d’abord paru en 2006, les Yeux de Maurice Richard. Une histoire culturelle.]

 

Référence

Melançon, Benoît, les Yeux de Maurice Richard. Une histoire culturelle, Montréal, Fides, 2006, 279 p. 18 illustrations en couleurs; 24 illustrations en noir et blanc. Nouvelle édition, revue et augmentée : Montréal, Fides, 2008, 312 p. 18 illustrations en couleurs; 24 illustrations en noir et blanc. Préface d’Antoine Del Busso. Traduction : The Rocket. A Cultural History of Maurice Richard, Vancouver, Toronto et Berkeley, Greystone Books, D&M Publishers Inc., 2009, 304 p. 26 illustrations en couleurs; 27 illustrations en noir et blanc. Traduction de Fred A. Reed. Préface de Roy MacGregor. Postface de Jean Béliveau. Édition de poche : Montréal, Fides, coll. «Biblio-Fides», 2012, 312 p. 42 illustrations en noir et blanc. Préface de Guylaine Girard.

Les Yeux de Maurice Richard, édition de 2012, couverture