La clinique des phrases (hhhh)

La clinique des phrases, logo, 2020, Charles Malo Melançon

(À l’occasion, tout à fait bénévolement, l’Oreille tendue essaie de soigner des phrases malades. C’est cela, la «Clinique des phrases».)

Soit une phrase tirée d’une chronique récente parue dans un quotidien montréalais.

J’ai déjà évoqué en ces pages ces nombreuses critiques adressées au fameux test sur les biais implicites qui prétend mettre à jour ces biais que nous aurions sans le savoir, et donc notre racisme inavoué et inavouable.

Les trois «ces» posent deux problèmes : d’une part, de répétition; d’autre part, et c’est plus ennuyeux, de cohérence — le deuxième et le troisième devraient renvoyer à quelque chose dans le texte qui les précède, ce qui n’est pas le cas.

Commençons :

J’ai déjà évoqué en ces pages les nombreuses critiques adressées au fameux test sur les biais implicites qui prétend mettre à jour les biais que nous aurions sans le savoir, et donc notre racisme inavoué et inavouable.

Par ailleurs, l’auteur confond mettre à jour (actualiser) et mettre au jour (révéler).

Continuons :

J’ai déjà évoqué en ces pages les nombreuses critiques adressées au fameux test sur les biais implicites qui prétend mettre au jour les biais que nous aurions sans le savoir, et donc notre racisme inavoué et inavouable.

Notons encore que «biais implicites» et «biais que nous aurions sans le savoir» est un pléonasme.

Persévérons :

J’ai déjà évoqué en ces pages les nombreuses critiques adressées au fameux test prétendant mettre au jour les biais implicites, et donc notre racisme inavoué et inavouable.

Comment passe-t-on de «les biais» à «notre racisme» ?

Ne baissons pas les bras :

J’ai déjà évoqué en ces pages les nombreuses critiques adressées au fameux test prétendant mettre au jour nos biais implicites, et donc notre racisme inavoué et inavouable.

Que vient faire le «donc» ici ?

Achevons :

J’ai déjà évoqué en ces pages les nombreuses critiques adressées au fameux test prétendant mettre au jour nos biais implicites, et par là [ou : voire] notre racisme inavoué et inavouable.

À votre service.

La barbe de Maurice Richard

Il y a trois lustres, l’Oreille tendue publiait un livre sur Maurice Richard — c’est du hockey. Son titre, les Yeux de Maurice Richard, visait à rappeler un lieu commun des discours sur ce joueur mythique : il aurait parlé avec son regard.

À certains moments, depuis, l’Oreille s’est demandé si son essai n’aurait pas pu s’appeler le Système pilaire de Maurice Richard. On a comparé la chevelure du Rocket à celle de Samson. On a interviewé plusieurs fois son coiffeur, Tony Bergeron, et le fils de celui-ci. On lui a confié la publicité des lotions capillaires Vitalis («My hair shapes up like a league leader after the Vitalis “60-Second Workout !”») et Grecian Formula («Paraissez aussi jeune que vous vous sentez grâce à Grecian Formula 16 en liquide ou en crème»). On lui a fait vendre des rasoirs. On a commenté la luxuriance de ses poils, semblables, disait-on, à ceux d’un ours ou d’un gorille.

Et son image a orné la réclame de la mousse à raser Williams — en espagnol : «El campeón de “hockey” Maurice Richard / Se afeita mejor con WILLIAMS / porque Williams contiene Lanolina confortante.»

Publicité de la mousse à raser Williams en espagnol

Petite histoire de cette image. L’Oreille l’a achetée en ligne d’un vendeur en Amérique du Sud (en Argentine ?) au début des années 2000. Ce vendeur faisait partie de cette étrange confrérie de commerçants qui découpent des périodiques pour en vendre les publicités sans, évidemment, le moindre souci bibliographique : ni titre du périodique, ni date de publication. Bref, l’Oreille ne sait rien de l’origine de cette publicité, malgré des questions adressées au vendeur. Autre souvenir : les frais de poste avaient été au moins cinq fois plus élevés que le coût de l’image.

Se pose aussi la question de la destination de cette publicité : quel public compte-t-on séduire avec un Rocket hispanisé ? Hypothèse : les hommes du Sud des États-Unis. C’était du moins ce que pensait une Espagnole interrogée sur la provenance de la variété de langue du texte. Si quiconque a des suggestions plus précises, l’Oreille est intéressée : les commentaires ci-dessous sont ouverts.

P.-S.—Pourquoi parler de cela aujourd’hui. Parce que.

 

Référence

Melançon, Benoît, les Yeux de Maurice Richard. Une histoire culturelle, Montréal, Fides, 2006, 279 p. 18 illustrations en couleurs; 24 illustrations en noir et blanc. Nouvelle édition, revue et augmentée : Montréal, Fides, 2008, 312 p. 18 illustrations en couleurs; 24 illustrations en noir et blanc. Préface d’Antoine Del Busso. Traduction : The Rocket. A Cultural History of Maurice Richard, Vancouver, Toronto et Berkeley, Greystone Books, D&M Publishers Inc., 2009, 304 p. 26 illustrations en couleurs; 27 illustrations en noir et blanc. Traduction de Fred A. Reed. Préface de Roy MacGregor. Postface de Jean Béliveau. Édition de poche : Montréal, Fides, coll. «Biblio-Fides», 2012, 312 p. 42 illustrations en noir et blanc. Préface de Guylaine Girard.

Les Yeux de Maurice Richard, édition de 2012, couverture

Du bazou

Maxime Raymond Bock, Morel, 2021, couverture

En août 1938, le poète québécois De Saint-Denys Garneau écrit à son ami Jean Le Moyne qu’il dispose dorénavant d’un «vieux bazou» (De Saint-Denys Garneau, p. 375).

Dans le roman Morel (2021), de Maxime Raymond Bock, on lit ceci : «Un voisin s’est parqué en sens inverse, à moitié monté sur le trottoir, pour câbler un bazou qui a rendu l’âme» (p. 22).

Bazou, donc : «Automobile démodée ou en mauvais état», selon Usito.

Si l’on en croit Sylvain Hotte, une motoneige peut aussi être un bazou (Attaquant de puissance, p. 64).

À votre service (mécanique).

P.-S.—«Câbler un bazou» ? Faire démarrer un tacot par survoltage.

 

[Complément du 2 janvier 2022]

Le bazou est, évidemment, une minoune. Exemple : «Québec s’en prend aux “minounes”» (la Presse, 8 décembre 2011, p. A18).

 

[Complément du 23 janvier 2022]

En français de référence : un tacot.

 

[Complément du 2 avril 2023]

Vue aujourd’hui, dans le cadre de l’excellente exposition «Hochelaga. Montréal en mutation», de Joannie Lafrenière, au Musée McCord Steward, cette photo.

«Achetons vieux bazous», photographie de Joannie Lafrenière, Musée McCord Steward, Montréal, 2 avril 2023

 

[Complément du 26 mai 2023]

Patrice Desbiens publiait récemment le recueil Fa que. En épigraphe, on trouve une citation de De Saint-Denys Garneau. Page 14, on lit le poème «Les vieux bazous». Tout est dans tout, et réciproquement.

En couverture ? Un bazou.

Patrice Desbiens, Fa que, 2023, couverture

 

Références

Biron, Michel, De Saint-Denys Garneau. Biographie, Montréal, Boréal, 2015, 450 p. Ill.

Desbiens, Patrice, Fa que, Montréal, Mains libres, 2023, 69 p. Ill.

Hotte, Sylvain, Attaquant de puissance, Montréal, Les Intouchables, coll. «Aréna», 2, 2010, 219 p.

Raymond Bock, Maxime, Morel. Roman, Montréal, Le Cheval d’août, 2021, 325 p.