La clinique des phrases (115)

La clinique des phrases, Charles Malo Melançon, logo, 2020

(À l’occasion, tout à fait bénévolement, l’Oreille tendue essaie de soigner des phrases malades. C’est cela, la «Clinique des phrases».)

Soit cette phrase, tirée d’un roman policier québécois :

Il lui arrivait d’aller prendre un verre avec des collègues, de participer à un tournoi de baseball ou à une partie de pêche, mais il ne se sentait proche d’aucun des fêtards qui remplissaient son verre ou lui criaient de se grouiller le cul afin d’atteindre le deuxième but avant le champ arrière de l’équipe adverse.

Les amateurs de sport le savent : il n’existe pas de champ arrière au baseball; c’est un terme de football. En revanche, en langue de balle, on connaît le champ extérieur.

On pourrait donc imaginer la phrase suivante :

Il lui arrivait d’aller prendre un verre avec des collègues, de participer à un tournoi de baseball ou à une partie de pêche, mais il ne se sentait proche d’aucun des fêtards qui remplissaient son verre ou lui criaient de se grouiller le cul afin d’atteindre le deuxième but avant le champ extérieur de l’équipe adverse.

Elle resterait bizarre. Il faudrait la modifier plus profondément :

Il lui arrivait d’aller prendre un verre avec des collègues, de participer à un tournoi de baseball ou à une partie de pêche, mais il ne se sentait proche d’aucun des fêtards qui remplissaient son verre ou lui criaient de se grouiller le cul afin de ne pas être retiré au deuxième but par le champ extérieur de l’équipe adverse.

À votre service.

Découvertes en goguette

Enseigne de la boutique East of Montreal, Halifax, octobre 2023

L’Oreille tendue avait prévenu ses bénéficiaires : elle partait à la retraite — et en voyage. Pendant ce périple automobile de 21 jours et d’un peu plus de 5000 kilomètres, elle a fait quelques découvertes. Les voici.

Elle ne pourra plus jamais prendre de vacances.

Pour qui prend sa retraite, il n’y a plus de (fins de) semaine, plus de lundi, etc.

Sa voiture prend soin de l’Oreille. Un après-midi, après plusieurs heures de route ininterrompues, un message est en effet apparu sur son tableau de bord : «Voulez-vous vous reposer ?» «Non, merci», l’Oreille a-t-elle répondu, attendrie. Elle aurait moins bien réagi à «Veux-tu te reposer ?»

Ce n’est jamais la même eau ni le même homme.

Plage, Île-du-Prince-Édouard, octobre 2023

Le renard brun est un brick géant.

«The quick brown fox jumps over the lazy dog» traduit en français par «Voyez le brick géant que j’examine près du wharf»

Tu as beau jouer au scrabble en français avec un jeu en anglais — tourisme oblige —, placer toutes tes lettres du premier coup peut rendre ton adversaire un brin mécontente.

Y a-t-il vraiment des hommes qui font leurs besoins dans le golfe Saint-Laurent ?

Panneau signalétique, Île-du-Prince-Édouard, octobre 2023

Écriture limpide, instructif, (auto)critique, concret, sens de la formule («les problèmes ne naissent pas des solutions»). L’imprimeur a moins bien travaillé : pages de traviole.

Mélikah Abdelmoumen, les Engagements ordinaires. Lutter de mères en filles, 2023, couverture

Salsa sur passage pour piétons.

Panneau signalétique, Île-du-Prince-Édouard, octobre 2023

Les jeux de mots capillaires sont aussi nombreux en anglais qu’en français. (Le Notulographe en fait collection.)

Salon de coiffure Cara’s New Hairizons, Nouvelle-Écosse, octobre 2023

À Truro,
Comme au McDo,
On peut acheter du pot
Au service à l’auto.

On trouve de tout dans les maisons de location.

Nourriture pour aigle, maison de location, Nouvelle-Écosse, octobre 2023

La Nouvelle-Écosse a ***deux*** emblèmes météorologiques, la hallebarde et la vache-qui-pisse.

Alerte météorologique, Nouvelle-Écosse, octobre 2023

Le matin, vers 9 h, à l’école primaire-secondaire d’Iona (Nouvelle-Écosse), on diffuse, en version bilingue déséquilibrée (quelques mots de français à la fin), l’hymne national du Canada. Au loin, en randonnée, ça dépayse.

Prendre une chambre d’hôtel au-dessus d’un bar n’est peut-être pas l’idée du siècle.

Morale de tout cela ? L’Oreille tendue se couche désormais moins niaiseuse.

Fil de presse 046

Charles Malo Melançon, logo, mars 2021

Lire linguistique ? Allez-y !

Betz, Simon, Bogdan Ludusan et Petra Wagner (édit.), Disfluency in Spontaneous Speech, Bielefeld, Germany. 28-30 August 2023, 2023.

Cassin, Barbara, le Livre d’une langue, Paris, Éditions du patrimoine, 2023, 312 p.

Fouché, Pierre, Traité de prononciation française, Paris, Klincksieck, coll. «Linguistique», 2023, 592 p. Réimpression de l’édition de 1988.

Fridland, Valerie, Like, Literally, Dude. Arguing for the Good in Bad English, Viking, 2023, 336 p.

Gaudin, François (édit.), Alain Rey. Lumières sur la langue, Paris, Honoré Champion, coll. «Lexica — Mots et dictionnaires», 43, 2023, 282 p.

Gauvin, Lise, Des littératures de l’intranquillité, Paris, Karthala, coll. «Lettres du Sud», 2023, 236 p.

Giguère, Frédéric, «Et si Lord Durham avait raison ? L’hétérolinguisme au cœur du rap québécois contemporain», Waterloo, Université de Waterloo, mémoire de maîtrise, 2020, vii/111 p. Dir. : Nicole Nolette.

Gilbert, Muriel et Jean-Christophe Establet, Joyeuses fautes. Le premier roman-photo de l’orthographe, Paris, Le Robert, 2023.

Glottopol. Revue de sociolinguistique en ligne, 38, 2023. Dossier «Les langues dans la famille».

Glottopol. Revue de sociolinguistique en ligne, 39, 2023. Dossier «Altera lingua ou la construction sociale de l’altérité linguistique».

Gougenheim, Georges, la Langue populaire dans le premier quart du XIXe siècle d’après le Petit dictionnaire du peuple de J.-C.-L.-P. Desgranges (1821), Orléans, Corsaire éditions, 2022, 254 p. Préface de Fabrice Jejcic.

Jaubert, Anna, la Stylisation du discours, Paris, Classiques Garnier, coll. «Investigations stylistiques», 15, 2023, 290 p.

Lecherbonnier, Bernard, Philippe Rossillon, l’inventeur de la Francophonie, Paris, Descartes & cie, 2023, 200 p.

Makan, Abdeltif (édit.), Migrations de langues et des cultures dans la littérature et dans l’art, Université Sultan Moulay Slimane (Maroc), 2023, 228 p.

Merlo, Jonathan-Olivier, Par monts et par mots. Pour un itinéraire sociolinguistique de la francophonie, Bruxelles, Berlin, Berne, New York, Oxford, Vrasovie et Vienne, Peter Lang, coll. «Champs didactiques plurilingues : données pour des politiques stratégiques», 16, 2023, 122 p. Ill.

Mustill, Tom, Comment parler baleine. L’incroyable avenir de la communication animale, Paris, Albin Michel, 2023, 416 p. Traduction de Marina Boraso.

Ozoux, Mireille, Jonathan Swift linguiste. La norme et le jeu, Paris, Honoré Champion, coll. «Littérature étrangère», 37, série «Littérature anglaise», 2023, 458 p. Préface de Jean Viviès.

Pouvoirs, 186, 2023, 192 p. Dossier «La langue française».

Le fumeur musical expérimenté

Publicité des cigarettes Buckingham avec le joueur de hockey Pit Lépine, la Presse, 11 février 1928

Dans la Presse+ d’hier, cette phrase : «Vivre avec une étiquette. Jonathan Sénécal connaît le tabac.» (Sénécal joue au football pour les Carabins de l’Université de Montréal.)

Au Québec, qui connaît le tabac est réputé avoir de l’expérience et tirer des leçons de celle-ci.

Autre exemple, chez Michel Tremblay : «C’est alors que Santuzza fit son entrée. Vêtue, elle, de noir, des pieds à la tête. La special guest connaissait le tabac !» (p. 84)

On l’aura compris : ce tabac est de même nature que la musique dans connaître la musique.

 

Référence

Tremblay, Michel, Offrandes musicales. Récits, Montréal et Arles, Leméac et Actes Sud, 2021, 165 p.