Olympe aux Olympiques

Statut d’Olympe de Gouges, Jeux olympiques de Paris, 2024

Une séquence de la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques de Paris, vendredi dernier, s’intitulait «Sororité». Dix statues de femmes sont sorties des eaux de la Seine, près du pont Alexandre-III, devant l’Assemblée nationale. Parmi elles, Olympe de Gouges.

De qui s’agit-il ? Pourquoi lui accorder pareille importance ?

Marie Gouzes, qui prend le nom d’Olympe de Gouges dans les années 1770, est une femme de lettres née à Montauban en 1748 et morte sur l’échafaud en 1793.

On lui doit plusieurs pièces de théâtre, souvent courtes, les dernières étant fortement liées à l’actualité de la Révolution française, dont une suite du Mariage de Figaro de Beaumarchais — le Mariage inattendu de Chérubin (1786) —, Molière chez Ninon, ou le siècle des grands hommes (1788), l’Esclavage des Noirs, ou l’heureux naufrage (1789), le Couvent, ou les vœux forcés (1790). Mirabeau aux Champs-Élysées (1791) est un dialogue des morts où se côtoient Mirabeau, Rousseau (en fait : «J. Jacques»), Voltaire, Montesquieu, Franklin, Henri IV, Louis XIV, le cardinal d’Amboise, Mme Deshoulières, Mme de Sévigné, Ninon de Lenclos, ainsi qu’«Une multitude d’ombres des quatre parties du monde».

Olympe de Gouges est surtout connue aujourd’hui pour sa «Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne» de septembre 1791. Elle y reprend, en le modifiant, le premier article de la «Déclaration des droits de l’homme et du citoyen» de 1789 : «Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune» devient «La Femme naît libre et demeure égale à l’Homme en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune.» Le dixième article de sa «Déclaration» est particulièrement fort (et prémonitoire) : «la Femme a le droit de monter sur l’échafaud; elle doit avoir également celui de monter à la Tribune».

Pendant longtemps, le nom d’Olympe de Gouges a été absent des mémoires. Deux phénomènes ont permis sa réhabilitation. D’une part, les spécialistes de la culture sous la Révolution ont voulu montrer, depuis quelques décennies, que celle-ci n’avait pas été «le tombeau des arts» : il y a des œuvres littéraires à cette époque et il faut les lire. D’autre part, le patrimoine s’est progressivement ouvert — mais encore de façon insuffisante — à la contribution des femmes dans tous les domaines de la vie sociale. Sur ce double plan, Olympe de Gouges pourrait être un cas d’école.

On a commencé à la rééditer et à la commenter de façon plus systématique au moment du bicentenaire de la Révolution, mais c’est surtout depuis une quinzaine d’années qu’elle a été redécouverte et honorée de toutes sortes de façons, tant par la critique savante que dans l’espace public. La Monnaie de Paris a frappé une pièce à son effigie en 2017. Quatre ans plus tard, les Archives nationales de France ont procédé à l’encodage sur ADN de deux textes, la «Déclaration des droits de l’homme et du citoyen» et la «Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne». Son empreinte toponymique s’accroît sans cesse : il y a des dizaines de lieux à son nom en France; une galerie d’art parisienne l’a pris. On lui a consacré une bande dessinée, au moins huit pièces de théâtre et quatre romans, une chanson (par Femmouzes T.), des émissions de télévision.

L’année 2021 a été marquante dans la renaissance éditoriale d’Olympe de Gouges. Le ministère d’Éducation de la France ayant mis son œuvre au programme du baccalauréat général, on a alors publié au moins neuf éditions de poche de son œuvre. Le Québec n’a pas été en reste : le ministère de l’Éducation a proposé la «Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne» parmi ses choix de textes pour l’Épreuve uniforme de français au collégial.

Dans un recueil de textes paru en 2020, l’Oreille tendue s’est penchée sur le processus de «classicisation». Elle y a mis en lumière deux processus par lesquels une œuvre peut aspirer à devenir classique : réduction; accumulation. On condense; on répète. C’est bien ce qui est arrivé à Olympe de Gouges : on l’a réduite à une œuvre, la «Déclaration», et on ne cesse de se concentrer sur cette œuvre — jusqu’aux Olympiques.

P.-S.—Ce texte vous rappelle quelque chose ? Vous avez bonne mémoire. Bravo.

 

Références

Gouges, Olympe de, Théâtre politique, Paris, côté-femmes éditions, coll. «Des femmes dans l’histoire», 1991, 244 p. Préface de Gisela Thiele Knobloch. Le Couvent, ou les vœux forcés (1790-1792), Mirabeau aux Champs-Élysées (1791), l’Entrée de Dumouriez à Bruxelles ou les Vivandiers (1793).

Gouges, Olympe de, Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne et autres écrits, dans Opinions de femmes de la veille au lendemain de la Révolution française, Paris, Côté-femmes éditions, 1989, 176 p., p. 47-62. Préface de Geneviève Fraisse.

Melançon, Benoît, Nos Lumières. Les classiques au jour le jour, Montréal, Del Busso éditeur, 2020, 194 p.

Pièces de monnaie en l’honneur d’Olympe de Gouges, Monnaie de Paris, 2021

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