À chacun sa vanité : l’Oreille tendue aime se vanter de ne jamais avoir utilisé de binettes (de smileys) en plus de vingt-cinq ans de courriel. Elle n’a pas non plus l’intention de se mettre à l’emoji, même si l’Oxford Dictionary vient d’en faire son «mot de l’année 2015».
Dans le quotidien le Devoir, le journaliste Fabien Deglise abordait la question hier. Dans «Rester sans mot», il manifestait son inquiétude :
À l’image de l’arbre qui tombe sans faire de bruit lorsque personne n’est présent pour l’entendre tomber, le mot meurt inéluctablement lorsqu’il arrête d’être quotidiennement utilisé. Une menace, à titre d’exemple, pour le vocabulaire exprimant la passion, l’amour ou cette chaleur intérieure qui consume au regard de l’autre et que l’avenir se prépare à résumer avec l’emoji symbolisant un cœur. Même chose pour la colère, l’indignation, la critique, la révolte, l’exaspération et ses nombreuses variantes qui, dans l’univers des emojis, tiennent en deux ou trois symboles. La raillerie, le rire, l’émerveillement aussi. Bref, cette communication par l’image, en exposant avec arrogance son efficacité, trace sans doute les contours d’un vaste cimetière vers lequel un nombre vertigineux de mots pourrait accélérer leur voyage final (p. B3).
On peut ne pas être d’accord avec cette affirmation.
Plein de mots qui ne sont pas «quotidiennement utilisés» ne sont pas morts («inéluctablement») pour autant; ils sont là quand nous en avons besoin; les dictionnaires en sont pleins. L’emoji, par définition, est une image : en quoi menacerait-il la langue orale, si tant est qu’il menace la langue écrite ? Où est-elle, cette «arrogance» supposée ? Une dernière chose : cette déperdition se fera «sans doute», écrit Fabien Deglise; on aimerait savoir sur quoi ce jugement est fondé. Depuis l’apparition des binettes, y a-t-il eu affaiblissement du vocabulaire, a-t-on perdu un «nombre vertigineux» de mots ? Si oui, où cela a-t-il été démontré ? Sinon, pourquoi craindre l’emoji ?
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