Manger de la politique

Boîte à lunch

Une proposition de loi pour encadrer la liberté universitaire au Québec ? «Tout le monde va être pour la tarte aux pommes. On l’a constaté dans nos travaux : tout le monde est pour la liberté universitaire. Ça se complexifie quand vient le temps de dire ce que ça veut dire et comment on la met en œuvre» (Alexandre Cloutier).

La volonté de ramener une équipe de hockey dans la ville de Québec ? «Retour des Nordiques : personne n’est contre le sirop d’érable, François. Mais sans vouloir t’insulter, t’es pas le premier à t’essayer… T’es pas non plus le premier politicien à essayer grossièrement de changer de sujet quand il sent la soupe chaude» (Catherine Dorion).

Il est périodiquement question de simplifier la vie des contribuables québécois en leur faisant remplir une déclaration d’impôt unique (il y a en deux actuellement) ? «Tout ça devient un peu, comment dire, de la poutine politique pour les gens» (Michel David, télévision de Radio-Canada, 19 août 2021).

Un parti vole à un autre un élément de son programme politique ? «QS [Québec solidaire] est en voie de “manger le lunch” du PQ [Parti québécois] qui devra se livrer à une remise en question déchirante et choisir un autre chef» (Donald Charette).

Vous appréciez les rencontres de toutes formes ? «Le Sommet. Une forme de manger mou politique» (la Presse, 25 février 2013, p. A15).

En politique, au Québec comme ailleurs, on trouve à boire et à manger.

La clinique des phrases (iiii)

La clinique des phrases, logo, 2020, Charles Malo Melançon

(À l’occasion, tout à fait bénévolement, l’Oreille tendue essaie de soigner des phrases malades. C’est cela, la «Clinique des phrases».)

Soit cette dépêche d’agence :

Le plus jeune évêque d’Espagne ne pourra plus exercer ses fonctions à la suite de son mariage avec une femme qui s’avère être autrice de romans érotico-sataniques, a annoncé samedi la Conférence épiscopale espagnole (CEE) sur son site internet.

D’une part, l’Oreille, pour rester polie, trouve la tournure «s’avérer être» un brin pléonastique. D’autre part, pour être «autrice», il vaut mieux être femme, non ?

D’où :

Le plus jeune évêque d’Espagne ne pourra plus exercer ses fonctions à la suite de son mariage avec une autrice de romans érotico-sataniques, a annoncé samedi la Conférence épiscopale espagnole (CEE) sur son site internet.

À votre service.

Des applications au théâtre

Simon Boudreault, Je suis un produit, 2021, couverture

Grimod de La Reynière, dans la 23e livraison du Censeur dramatique, le 9 avril 1798, disait des applications qu’elles «font allusion à quelques événements politiques, ou à quelques personnages célèbres, auxquels le public applique certains passages de telle ou telle pièce qui paroissent lui convenir».

Pour le dire autrement : au théâtre, les spectateurs mettent au goût du jour (ils appliquent) ce qu’ils entendent; n’importe quelle pièce peut sortir de son époque pour entrer dans celle de son public. Pendant la Révolution française, par exemple, on pouvait faire une lecture «révolutionnaire» de pièces de Marivaux écrites… soixante ans plus tôt.

Le spectacle Je suis un produit, de Simon Boudreault, est actuellement monté à La Licorne, à Montréal, par Simoniaques théâtre. La base de l’intrigue est simple : une Marocaine (fictive) choisit de porter le voile pour obtenir un emploi.

L’Oreille tendue a vu la pièce hier soir. Plus tôt dans la journée, une enseignante (réelle) a été retirée de sa classe, à Gatineau, pour avoir porté le voile. Elle n’a pas perdu son emploi, mais elle a été mutée.

Les applications peuvent être éloignées dans le temps. Elles peuvent aussi être très proches. Elles n’ont pas du tout échappé au public de la représentation de la pièce de Boudreault du 9 décembre.

P.-S.—L’Oreille tendue doit à Martin Nadeau la découverte des applications et la citation de Grimod de La Reynière (2006, p. 93).

P.-P.-S.—Oui, ce Simon Boudreault-.

P.-P.-P.-S.—Allez-y.

 

[Complément du 10 décembre 2021]

À ce billet rédigé un peu rapidement, il manquait une citation : «Tu peux pas me renvoyer à cause de mon voile. C’est de la discrimination» (p. 125).

 

Références

Boudreault, Simon, Je suis un produit, Montréal, Dramaturges éditeurs, 2021, 157 p.

Nadeau, Martin, «Des héroïnes vertueuses : autour des représentations de la pièce Paméla (1793-1797)», Annales historiques de la Révolution française, 344, avril-juin 2006, p. 93-105. https://doi.org/10.4000/ahrf.6073

Nadeau, Martin, «Le théâtre de Marivaux et la Terreur», Lumen. Travaux choisis de la Société canadienne d’étude du dix-huitième siècle. Selected Proceedings from the Canadian Society for Eighteenth-Century Studies, XXII, 2003, p. 15-26. https://doi.org/10.7202/1012256ar

Histoire d’oreilles

Maxime Raymond Bock, Morel, 2021, couverture

Comme toutes les variétés de langue, le français québécois a ses automatismes. Boucane appelle cochon (voir ici). Gâté fait attendre pourri (voir ).

Lisant Morel, de Maxime Raymond Bock (2021), l’Oreille tendue, toujours sensible au sort de ses consœurs, tombe sur la phrase suivante : «Quand leur père a cette voix-là, ils ont intérêt à se tenir les oreilles molles» (p. 71). Pavlovienne, elle complète : «le corps raide et les oreilles molles».

Pourquoi ? Qui se tient le corps raide pis les oreilles molles se sait surveillé; le risque est alors grand de subir une punition; il faut faire attention et ne surtout pas prêter le flanc à la critique. Prudence !

À votre service.

 

Référence

Raymond Bock, Maxime, Morel. Roman, Montréal, Le Cheval d’août, 2021, 325 p.