Les zeugmes du dimanche matin et de Michel Jean

Michel Jean, Kukun, 2019, couverture

«Quand nous avons eu fini de boire le thé, Marie m’a entraînée en me tirant par la manche. Je me suis installée entre elle et Christine devant le caribou. Elles avaient d’abord retiré la peau de l’animal avec du silex et l’avaient suspendue. Ensuite, avec une côte d’orignal et beaucoup de patience, elles avaient gratté jusqu’à ce que la graisse s’imprègne dans les tissus.»

«J’ai planté ma tente dans ce désert. Si je mourais, personne ne le saurait. Si je survivais, c’est que l’Être supérieur en aurait décidé ainsi. Arrivé au bout du chemin et de mes forces, je m’en remettais à lui.»

Michel Jean, Kukum, Montréal, Libre expression, 2019. Édition numérique.

 

(Une définition du zeugme ? Par .)

Paroles de Ravey

Yves Ravey, Adultère, 2021, couverture

Vous choisissez : il y a toutes sortes de bonnes raisons de lire Yves Ravey.

Dans Trois jours chez ma tante (2017) et dans Pas dupe (2019), le narrateur vous trompe de page en page, et c’est un grand plaisir. Ce qu’on vous dit est vrai, mais on ne vous dit pas tout. Petit à petit, vous le découvrez et ce n’est pas jojo, surtout dans le roman de 2017.

Dans le récent Adultère (2021), on appréciera (ou pas) l’étrange preuve d’amour finale.

Surtout, on s’intéressera à la diversité des façons qu’a le narrateur de rapporter la parole de ses personnages.

En style direct : «On n’en sait rien, et c’est top secret» (p. 77).

En style indirect : «J’ai continué de l’interroger : Parle-moi franchement, dis-moi comment tu te sens avec moi ? Elle a ignoré ma question, elle a dit que je devais revoir les registres de compte avant le placement définitif en règlement judiciaire, ensuite elle est venue vers moi, m’a serré dans ses bras» (p. 49).

En style indirect libre : «Elle est revenue, a tendu l’argent à mon veilleur de nuit, lui demandant si, cette fois, il s’estimait heureux, et si ça convenait ?» (p. 28); «Il vous donnera des conseils et ça vous rassurera. Aussi, a-t-il poursuivi, insistant, j’étais méconnaissable, je ne sais si vous vous en rendez compte, mon pauvre ami, mais vous êtes blanc comme un linge» (p. 79).

En un mélange de style direct, de style indirect et de style indirect libre : «Je lui ai demandé ce qu’elle faisait là… ? à cette heure-ci ? Mais enfin, maman, c’est insensé…! Elle prenait l’air, car elle ne parvenait pas à dormir. Dolorès n’a pas manqué de me rappeler que, la dernière fois, j’avais installé un écran de télévision dans sa chambre» (p. 39-40).

En Ravey : «Je lui ai tendu la gourmette, cadeau de Remedios lors de notre voyage de fiançailles à Venise. / Ousmane a reculé d’un pas : Justement, si c’est un cadeau de fiançailles, monsieur Seghers, je ne préfère pas, ça me gêne […]» (p. 17).

Du grand art.

P.-S.—N’oublions pas cette sublime incise.

 

Références

Ravey, Yves, Trois jours chez ma tante, Paris, Éditions de Minuit, coll. «Double», 117, 2019, 155 p. Édition originale : 2017.

Ravey, Yves, Pas dupe. Roman, Paris Éditions de Minuit, 2019, 139 p.

Ravey, Yves, Adultère. Roman, Paris, Éditions de Minuit, 2021, 140 p.