Hockey et politique

«Les électeurs méritent mieux que la “trappe”», titre, la Presse+, 28 août 2022

Qu’est-ce que la trappe au hockey ?

Définition de Wikipédia : «La trappe est une stratégie défensive utilisée en hockey sur glace pour empêcher l’équipe adverse de progresser en zone neutre (entre les deux lignes bleues) afin de forcer les rotations.»

Définition de l’Oreille tendue : «Les pires entraîneurs, du moins d’un point de vue esthétique, sont ceux qui exigent de fermer le centre de la glace. Ces adeptes de la trappe tuent le jeu» (2014, p. 116).

Si l’on en croit la Presse+ du 28 août, on peut aussi parler de trappe dans le domaine politique, plus précisément dans le cadre de la campagne électorale québécoise actuelle : «Les électeurs méritent mieux que la “trappe”», titre le quotidien. Le responsable de cette situation ? «Avec une telle position de force, le premier ministre François Legault a déjà commencé à “jouer la trappe”, cette stratégie défensive que les équipes sportives utilisent pour protéger leur avance. Et qui donne une partie sans intérêt.»

Souhaitons-nous mieux, sur la glace et hors d’icelle. On peut toujours rêver.

 

Référence

Melançon, Benoît, Langue de puck. Abécédaire du hockey, Montréal, Del Busso éditeur, 2014, 128 p. Préface de Jean Dion. Illustrations de Julien Del Busso.

Benoît Melançon, Langue de puck. Abécédaire du hockey, 2014, couverture

Faire revivre la Série du siècle ?

Ken Dryden, The Series, 2022, couverture

En septembre 1972, les équipes de hockey de l’URSS et du Canada se sont affrontées dans ce qu’on a appelé la Série du siècle. Les Canadiens ont gagné par la peau des dents.

Ken Dryden était alors un des gardiens d’Équipe Canada. (Oui, ce Ken Dryden-là.) Il vient de publier ses souvenirs du tournoi, sous le titre The Series (en français, la Série du siècle). Très court texte magnifiquement illustré, le livre est divisé en deux parties d’inégale longueur. La seconde sauve presque la première.

Celle-ci, «Faceoff», est elle-même double : elle s’ouvre sur un rappel de la rivalité URSS / Canada avant 1972; suit une description de chacun des huit matchs de la série, dans l’ordre de leur déroulement. Pourquoi l’Oreille tendue a-t-elle été déçue ?

À l’exception peut-être d’un passage sur les modifications que le gardien a dû apporter à son style de jeu (p. 85-86), l’ouvrage ne contient aucune information nouvelle pour quiconque connaît l’histoire du hockey au Canada. Pourtant, Dryden a été intimement mêlé aux événements.

L’auteur a choisi de ne s’appuyer que sur ses souvenirs, sans combler les trous de sa mémoire par une recherche documentaire. Ce choix est assumé, mais il mène à des passages étranges, quand Dryden, par exemple, refuse de donner le nom de certains joueurs soviétiques (p. 19, p. 141), qu’il aurait pu retrouver sans mal.

Quand on les compare à la masse des livres écrits par des sportifs, ceux de Dryden se détachent nettement, notamment à cause de la vraie curiosité de l’auteur. Cela étant, il n’a jamais été un styliste — cette affirmation sera impopulaire, mais c’est comme ça. Dans The Series, cela apparaît clairement par l’utilisation répétitive des figures de… répétition (anaphores, épiphores, parallélismes, etc.). Le passage le plus laborieux, sur ce plan, se trouve aux pages 137-140. Pour le dire autrement, en matière d’écriture, ça manque grandement de variété.

Certaines affirmations étonnent. Le caractère des Canadiens aurait été forgé par leur rapport à l’hiver (p. 73) et par leur nordicité (p. 93), comme celui des Suédois. Ne pourrait-on pas dire la même chose des Russes ? (Cela est finalement noté dans les dernières pages du livre, p. 173.)

L’Oreille est également troublée par le récit du sixième match de la série, celui où Bobby Clark a cassé la cheville du meilleur joueur russe, Valary Kharlamov, d’un coup de bâton. Dryden raconte qu’il n’a rien vu du geste pendant le match et qu’il n’en a appris la nature que plusieurs années plus tard (p. 114-116). On se serait attendu à mieux d’un apôtre de la non-violence au hockey comme l’ancien gardien. (L’Oreille tendue a déjà consacré quelques pages à la cheville de Kharlamov; c’est ici.)

La deuxième partie, «Overtime» ? L’auteur y réfléchit à la place de la Série du siècle dans l’histoire du hockey («the 1972 series is the most important moment in hockey history», p. 187) et dans l’histoire du Canada (il ne faut pas être allergique au nationalisme canadian pour apprécier ce genre de propos). Une comparaison inattendue révèle l’évolution du sport : Wayne Gretzky jouait comme un Russe; Alexander Ovechkin joue comme un Canadien (p. 173). Dryden oppose justement l’obsession pour les matchs («games») au développement des habiletés («skills», p. 175).

Terminons sur une note positive, avec deux formules bien senties : «It was encouraging, and awful» (p. 108); «Neither of us [Russia / Canada] got what we wanted; both of us got what we needed» (p. 177). Une chose peut être encourageante, mais affreuse. On peut obtenir ce dont on a besoin, plutôt que ce que l’on souhaite. Il y a quand même de (petites) leçons à tirer du plus récent livre de Ken Dryden.

 

Références

Dryden, Ken, The Series. What I Remember, What it Felt Like, What it Feels Like Now, Toronto, McClelland & Stewart, 2022, 191 p. Ill.

Dryden, Ken, la Série du siècle. Telle que je l’ai vécue, Montréal, Éditions de l’Homme, 2022, 204 p.

Melançon, Benoît, «Hendécasyllabe sportif», dans Marie-Andrée Beaudet et Karim Larose (édit.), le Marcheur des Amériques. Mélanges offerts à Pierre Nepveu, Montréal, Université de Montréal, Département des littératures de langue française, coll. «Paragraphes», 29, 2010, p. 173-180. https://doi.org/1866/19742

La clinique des phrases (qqqq)

La clinique des phrases, Charles Malo Melançon, logo, 2020

(À l’occasion, tout à fait bénévolement, l’Oreille tendue essaie de soigner des phrases malades. C’est cela, la «Clinique des phrases».)

Ceci concerne un joueur de hockey :

Choix de premier tour des Flames de Calgary au repêchage de 2013, [Émile] Poirier a connu de bons débuts professionnels avant d’être rattrapé par ses problèmes de consommation d’alcool en 2017. Il a quitté le club-école des Flames pour des «raisons personnelles» en mars de cette année-là. L’automne suivant, il dévoilait ses problèmes de dépendance aux médias.

Il est légitime de penser que ce joueur ne souffre pas de «dépendance aux médias».

Donc :

L’automne suivant, il dévoilait aux médias ses problèmes de dépendance.

À votre service.

La langue de puck en 1958

René de Chantal, «Défense et illustration de la langue française. Gouret ou hockey», le Droit, 1er mai 1958, titre

René de Chantal (1923-1998) a été professeur de littérature, administrateur universitaire, diplomate et chroniqueur de langue. En 1958, dans le Droit (Ottawa), il consacre trois textes à la langue de puck.

Dans sa première chronique, le 1er mai, il cite longuement une lettre du père X, «professeur de français dans un collège de la province de Québec», qui s’interroge sur les mots du sport en français, sur leur rapport à l’anglais, sur la façon de les construire. Comment faire pour que, «chez la jeunesse trépidante de vie», on accepte un lexique français fait «de termes exacts, précis, vifs pour répondre au besoin de l’action» ?

Dans sa réponse initiale, se reconnaissant «un peu profane en la matière», le chroniqueur reprend les propos du commentateur sportif Michel Normandin dans un texte de 1957 («Il est […] impérieux que nous soyons plus français que les Français […]»), lui-même citant Étienne Blanchard. Le texte s’achève sur une question : qui doit-on suivre, les professeurs, comme René de Chantal, ou les rédacteurs et commentateurs, comme Normandin ?

Le 8 mai, le professeur donne ses choix. Il apprécie «mise en échec» (pour «body-checking»), «se replier» et «repli» (pour «back-checking» — mais pas «replié», et plutôt que «retraite»), et «garder le but» (mais ni «gauler» ni «gauleur», mentionnés par le père X). Il ne connaît pas d’équivalent à «cross-checking» («arrêt croisé» est «peut-être la moins mauvaise» solution). Il propose «tir envolé» pour «slap shot», alors que son correspondant retenait «lancer frappé», voire, tout simplement, «frappé».

La troisième chronique est destinée à comparer le vocabulaire québécois et le vocabulaire français du hockey : défenses / arrières, bâton / crosse (canne, en Suisse), rondelle (disque, caoutchouc) / palet, mise au jeu / engagement (citation de Beaumarchais à l’appui), tricoter / dribbler, lancer / shooter, lancer / tir (ou shoot), retour / rebond, compter un but / marquer un but, couvrir un joueur / marquer un joueur, tour (ou truc) du chapeau / coup du chapeau, punition / pénalité, égaler / égaliser, semi-finales / demi-finales, période supplémentaire / prolongation. Pour la période, les choix ne manquent pas, d’un côté comme de l’autre de l’Atlantique : engagement, strophe (!), stance (!!), tiers-temps, reprise. On dit aujourd’hui punition pour mauvaise conduite; René de Chantal trouvait que punition de méconduite rendait «admirablement» misconduct penalty.

René de Chantal s’appuie sur des travaux de linguistique ou de lexicographie (Georges et Robert Le Bidois, Ferdinand Brunot, Jacques Pignon, «qui fut mon professeur de vocabulaire en Sorbonne»), sur des dictionnaires (Robert, Larousse, Harrap, Quillet, Bénac), sur des vocabulaires français (le Rugby, l’Encyclopédie des sports modernes, le Hockey sur gazon, l’Art et la pratique du hockey [sur gazon]) et sur «le programme d’un match de hockey auquel [il a] assisté dernièrement au Palais des sports de Paris» ! Écrivant de Paris, il a même interrogé un «jeune joueur de hockey français» et «quelques Canadiens qui ont l’occasion de jouer au hockey ici».

Conclusion ?

Si les mêmes expressions ne coïncident pas toujours des deux côtés de l’Atlantique, le vocabulaire canadien-français est, règle générale, fort honnête […]. Il faudrait faire profiter les sportifs français de nos trouvailles. […] Si ce n’est déjà fait,  le Canadien qui rédigerait, dans une langue correcte, un petit ouvrage sur notre sport national, rendrait service, non seulement à ses compatriotes, mais aussi aux Français qui s’intéressent de plus en plus à ce magnifique sport.

Dont acte.

P.-S.—Il est même question du détail.

P.-P.-S.—René de Chantal a beau être «profane», le 15 mai, il évoque «le sensationnel Doug Harvey» et Maurice Richard.

 

Références

Chantal, René de, «Défense et illustration de la langue française. Gouret ou hockey», le Droit, 1er mai 1958, p. 2.

Chantal, René de, «Défense et illustration de la langue française. “Back-checking” et “slap shot”», le Droit, 8 mai 1958, p. 2.

Chantal, René de, «Défense et illustration de la langue française. Termes de hockey. En France, on shoote», le Droit, 15 mai 1958, p. 2.

Melançon, Benoît, Langue de puck. Abécédaire du hockey, Montréal, Del Busso éditeur, 2014, 128 p. Préface de Jean Dion. Illustrations de Julien Del Busso.

Normandin, Michel, «La langue des sports», Vie française, 12, 1-2, septembre-octobre 1957, p. 34-46.

Benoît Melançon, Langue de puck. Abécédaire du hockey, 2014, couverture