Le français conservateur

Annonce du débat du Parti conservateur du 17 janvier 2017

 

Le Parti conservateur du Canada, à la suite du départ de Stephen Harper, se cherche un nouveau chef. Hier soir, treize (!) candidats à ce poste ont été réunis à Québec pour présenter leurs positions en français. (Il aurait pu y en avoir quatorze si l’unilingue anglophone Kevin O’Leary n’avait pas été aussi «chicken», dixit le journaliste Yves Boisvert dans la Presse+.)

À la demande du Journal de Québec, l’Oreille tendue était devant son ordinateur pour suivre cette activité et offrir ses réflexions sur la qualité du français des candidats. (Merci de l’invitation. L’article est ici. Non, bien sûr, l’Oreille n’est pas linguiste.)

Ci-dessous, quelques ajouts à ce qui a paru dans le journal.

La formule

On ne peut pas parler de débat. À tour de rôle, les participants répondaient, en cinquante secondes, à des questions soumises par la direction du parti ou par des membres; pour plusieurs, il s’agissait de lire, approximativement, un court texte. (Une personne citée hier par le quotidien le Devoir laissait entendre que les candidats connaissaient les questions à l’avance.) Ils pouvaient également réagir brièvement à une déclaration d’un de leurs opposants. Il n’y avait donc aucune interaction réelle entre les candidats. On peut, sans risque de se tromper, avancer que la majorité des intervenants aurait été incapable de pareille interaction. La formule retenue, cette succession de monologues, les a donc protégés.

Le palmarès

Maxime Bernier et Steven Blainey sont francophones; ils étaient clairement avantagés hier soir. Le premier, qui aime l’anglicisme «vocal», a livré le pléonasme de la soirée : il faut «se lever debout».

Parmi les anglophones, Chris Alexander, Michael Chong et Rick Peterson ont été les seuls à faire la démonstration qu’ils sont bilingues. Alexander, qui a dit avoir déjà habité près de Québec, s’est permis un québécisme : «en pleine face». Chong hésitait entre «le job» et «la job». Le léger accent de Peterson et deux de ses choix lexicaux («sympa», «messieurs-dames») laissaient entendre qu’il avait appris son français dans l’Hexagone : en effet, selon son site Web, il a joué au hockey en France et il est diplômé de l’Institut d’études politiques de Paris. Les trois faisaient des fautes, mais cela ne les empêchait pas de s’exprimer.

Aucun autre candidat n’a fait la démonstration de sa maîtrise du français. Deepak Obhrai était incompréhensible; sa présence était parfaitement inutile et souvent risible. Les problèmes de prononciation de Kellie Leitch («J’aurai besoin de vous pour pratiquer» mon français, a-t-elle avoué d’entrée de jeu), Brad Trost et Lisa Raitt étaient considérables. Pierre Lemieux ne paraît pas avoir compris qu’on lui posait une question sur les Premières nations; il a répondu sur un tout autre sujet. Erin O’Toole et Andrew Saxton avaient (un peu) mieux travaillé que les autres, mais pas au point de faire la preuve qu’ils sont capables de converser en français. (Lisa Raitt a-t-elle bien dit qu’il y a «60 milliards» de Canadiens qui travaillent dans la forêt ? Ça fait beaucoup de monde.)

Andrew Scheer est probablement le plus grand perdant de la soirée. La semaine dernière, à la surprise de plusieurs, il a annoncé qu’il avait l’appui de quatre députés québécois francophones de son parti dans la course à la chefferie. La soirée a plutôt bien commencé pour lui, mais ça s’est détérioré par la suite. Il n’était à l’aise ni quand il lisait ses réponses préparées ni quand il improvisait. Son poste de président de la Chambre des communes, à Ottawa, à partir de 2011, ne supposait-il pas une connaissance correcte du français ?

Ni le Parti conservateur ni le français ne sortent grandis de cette affaire.

P.-S. — Les choses n’avaient pas très bien commencé, la modératrice, Pascale Déry, ayant ouvert le bal en confondant le conditionnel et le futur («Je serais la modératrice») et en utilisant un anglicisme (il allait y avoir des «questions articulées autour de […] deux termes»).

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