Vers de puck

Maxime Catellier, Mont de rien, 2018, couverture

 

Les poètes québécois francophones aiment le hockey : Roland Giguère, Michel Beaulieu, Patrice Desbiens, Michel Bujold, Daniel Dargis, Bernard Pozier, François Pelletier et Paul Marion, Shawn Cotton, Alexandre Dostie, Jean-Christophe Réhel, Samuel Mercier, Yvon d’Anjou, François Black et Stéphane Poirier, Catherine Cormier-Larose, Philippe Chagnon, Stéphane Picher lui ont consacré un poème, ou plusieurs, voire un recueil. Le joueur le plus souvent mis en vers est Maurice Richard, par Jean-Paul Daoust, Camil DesRoches, Alexandre Faustino, Jeannine Goulet, François Guerrette, François Hébert, Félix Leclerc, Edmond Robillard, Denis Vanier et des auteurs anonymes.

Ajoutons à ce florilège deux titres récents.

À la fin de Castagnettes, Marie-Élaine Guay publie une suite poétique de quatre pages, «les caraïbes saignent». Cette suite se termine — et le recueil avec elle — par ces vers :

je pose un pied sur la glace sans effort
ça joue au hockey dans mes tripes
ça patine ça aiguise
ça goale tellement fort
le jeu continue observé
ça patine pour gagner
on tourne toujours l’histoire à notre avantage
comment je vais faire pour avancer dans le noir ?
tu étais ma lampe de poche
le dépanneur fait son last call
les chiens aboient entre eux
puis
cent millions de nuits faibles fondent sur l’asphalte

Le hockey, ce «jeu», est affaire de vitesse («ça patine», deux fois), de volonté («ça goale tellement fort», «ça patine pour gagner») et d’émotion («dans mes tripes»). Il se pratique «sans effort». Puis la situation est mise à distance («le jeu continue observé») et elle se délite («comment je vais faire pour avancer dans le noir ?»). Rideau.

Dans Mont de rien, de Maxime Catellier, le hockey occupe une place bien plus grande que chez Marie-Élaine Guay. Dans ce «roman», mais en vers, découpé en trois périodes, comme un match, on trouve deux intermèdes et une prolongation : ces trois textes font appel à la mémoire du sport. Il est également question des cartes de hockey que collectionne le poète dans sa jeunesse (p. 54, p. 59-60, p. 84-85), de ses lectures hockeyistiques (p. 95, p. 121) et de la mort de John Kordic (p. 115).

Le premier intermède, «La bataille du vendredi saint. 20 avril 1984» (p. 35-38), rappelle une des plus célèbres bagarres de l’histoire du hockey, entre les Canadiens de Montréal et les Nordiques de Québec. Le second décrit, doublement, «La veine de Clint Malarchuk. 22 mars 1989» (p. 77-80) : ce gardien, en plein match, a eu la (veine) jugulaire tranchée; il s’en est malgré tout tiré (il a eu de la veine). Les deux poèmes, tout en rappelant le nom des joueurs concernés dans un cas comme dans l’autre, magnifient ces faits divers en les rattachant au «vrai nord» (p. 37), aux «étoiles» (p. 37), à «l’ordre divin» (p. 38), au «soleil» (p. 38), au «lustre effondré du temps» (p. 79), aux «anges» (p. 80). Le nom de Malarchuk unit ces deux textes.

Dans un passage de «1000 timbres. prolongation» (p. 118-121), enfin, on oppose deux émeutes montréalaises. Le 17 mars 1955, les amateurs saccagent les alentours du Forum à la suite de la suspension du plus grand joueur de l’équipe à l’époque, Maurice Richard : on «défend» alors «l’honneur de la patrie» (p. 119). En revanche, le 9 juin 1993, c’est une «talle de mongols» (p. 118), voire de «mongols à batterie» (p. 121), qui s’en prend aux commerces qui environnent le Forum, «talle» faite de «vandales» (p. 118), de «sauvages» (p. 118) : «vingt mille macaques à chouclaques se crachent dans les mains en allumant des chars par en-dessous» (p. 118). De 1955 à 1993, la consommation capitaliste a triomphé : on ne se bat plus que pour des produits («le sang neuf cherche à dévorer la marchandise, seule matière première valable», p. 119). C’est à un drame politique que l’on assiste : «ça valait la peine de fuguer pour se retrouver ici, cette île ne mérite pas d’être un paradis, c’est l’enfer des âmes perdues, les limbes du rêve national» (p. 119).

Pour Marie-Élaine Guay et pour Maxime Catellier, le hockey est une affaire de «tripes».

 

Références

Catellier, Maxime, Mont de rien. Roman en trois périodes et deux intermèdes, Montréal, L’Oie de Cravan, 2018, 123 p.

Guay, Marie-Élaine, Castagnettes. Poésie, Montréal, Del Busso éditeur, 2018, 76 p. Ill.

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