Pronoms echenoziens

Jean Echenoz, Vie de Gérard Fulmard, 2020, couverture

(Quand paraît un nouveau livre de Jean Echenoz, cela se célèbre. Vie de Gérard Fulmard venant de paraître, célébrons pendant quelques jours.)

Cette Vie de Gérard Fulmard est souvent racontée par Gérard Fulmard, au je, donc — «J’en étais là de mes réflexions quand la catastrophe s’est produite» (p. 7, incipit) —, mais pas que.

Il y a aussi un autre narrateur — il ne s’entend pas, par exemple, avec Gérard Fulmard sur la plastique de Louise Tourneur — qui n’hésite pas à parler à la première personne du pluriel : «Dès lors on se prend à déchanter un peu car enfin n’exagérons rien, Fulmard s’est exalté, Louise Tourneur n’est pas mal du tout, certes, mais pas tant que ça» (p. 36). Même narrateur, et même Louise, bien plus loin dans le roman : «Comme elle essaie encore sans que jamais se décrochent les appareils fixe ni mobile de Louise, une culpabilité la prend, la mélancolie s’installe, le découragement gagne Nicole Tourneur qui commence à trouver le temps long, qui s’alanguit, qui s’assoupit, et nous aussi : dès lors, accélérons donc le cours des choses» (p. 189).

À ces je et nous narrateurs s’ajoute parfois le lecteur, sans qu’on s’y attende : «Des vingt milliers d’objets qui se promènent ainsi, nous surplombant en orbe, on est en droit d’imaginer que les trois quarts, ceux qui évoluent à moins de mille kilomètres d’altitude, retomberont un de ces jours n’importe où, pourquoi pas à tes pieds» (p. 13); «le président Terrail n’a pas plus l’air d’un président que vous et moi» (p. 62). (Le président Terrail est amoureux de Louise Tourneur.)

Revenons pour finir à Louise Tourneur et à Gérard Fulmard :

Bon, vu la situation, bien sûr que je l’ai comprise, sans doute avait-elle à faire ailleurs en de telles circonstances, mais tout autant je l’ai regrettée car rien ne me déplaît chez Louise Tourneur. La totalité de sa personne me ravit, point par point. Regard, visage, allure, sourire. Silhouette, attaches, élégance, formes. Prestance, distinction, voix. Mais assez parlé de moi (p. 33).

Ce moi enchante.

 

Référence

Echenoz, Jean, Vie de Gérard Fulmard. Roman, Paris, Éditions de Minuit, 2020, 235 p.

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