«J’ai pas pensé à Bébé non plus, qui tenait encore la poignée de porte, l’air perdue. J’ai pensé à Luc. Je suis pas conne, les policiers étaient là pour quelqu’un de ma famille, une de mes filles était morte ou mon mari avait eu un accident de moto. Mais c’est Luc qui m’est venu en tête. À cause des deux policiers qui allaient assurément m’annoncer un grand drame, à cause de Bébé, debout près de la porte à tenir la poignée comme si sa vie en dépendait, je pourrais plus consacrer mon temps à m’imaginer partir avec Luc. J’ai voulu prendre un bain en l’absence de mon mari pour lire un livre que Luc m’avait prêté en me comparant au personnage principal. Avez-vous déjà entendu quelque chose de plus sensuel ? J’étais excitée par l’idée de Luc tournant les mêmes pages avec ses mains, peut-être dans son bain à lui, sa femme dans la pièce d’à côté ou partie se tuer en moto elle aussi, pourquoi pas. J’ai été punie pour ce bain-là.»
Frédérique Côté, Filibuste. Roman, Montréal, Le Cheval d’août, 2021, 110 p., p. 25-26.
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