Portrait au panier d’épicerie

François Blais, la Classe de madame Valérie, 2013, couverture

«Et qu’aurait-on pu apprendre sur Andréanne Gélinas en analysant le contenu de son chariot ? La citrouille, le pot de Nutella, les jujubes en vrac et les biscuits Pirate pouvaient induire en erreur en donnant à croire qu’elle était mère de famille — mauvaise mère, par surcroît, gavant sa marmaille de cochonneries —, alors qu’elle était simplement un peu immature et aimait le sucre. Le fait qu’elle achetât du détergent de marque Artic Power, du papier hygiénique Cashmere et que, d’une manière générale, elle eût tendance à snober les produits maison, prouvait qu’elle appartenait à la classe moyenne, ou du moins à cette catégorie de gens n’ayant jamais à choisir entre se nourrir correctement ou porter des vêtements propres. Poitrines de poulets surgelées à la Kiev, stir-fry à la sichuanaise en sac, potages Le Commensal, saumon Wellington Irresistible : gourmet mais paresseuse. Veut bouffer le mieux possible sans toutefois que cela implique d’autres opérations que “Mettre au four à 450º pendant trente-cinq minutes” ou “Chauffez en remuant, laissez reposer, servir”. Aucun produit en provenance de la section bio/équitable : conscience sociale à zéro. Oui, c’est vrai, mais il faut dire que les légumes bio ne payent pas de mine. Et puis, hein, avant l’arrivée du transgénique les melons d’eau et les raisins étaient bourrés de pépins. Qui veut en revenir là ? Pour résumer : gourmande, paresseuse, frivole, immature, pas pauvre. Il fallait convenir que le portrait était assez juste. Presque exhaustif, en fait.»

François Blais, la Classe de madame Valérie. Roman, Québec, L’instant même, 2013, 400 p. Édition numérique.

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