Gris sur gris

Jean Echenoz, Vie de Gérard Fulmard, 2020, couverture

(Quand paraît un nouveau livre de Jean Echenoz, cela se célèbre. Vie de Gérard Fulmard venant de paraître, célébrons pendant quelques jours.)

La palette chromatique de Jean Echenoz est étendue.

Prenez cette scène de club house :

Non loin de la cheminée, affalés autour d’une table basse, Dorothée Lopez aperçoit puis rejoint Cédric Ballester et Guillaume Flax, chacun son iPad sur ses genoux, chacun en tenue de golf, Ballester en polo Altman rouge barré de noir à col blanc, pantalon Aldrich mauve et pull Rosi bleu pâle jeté sur ses épaules, Flax entièrement en Decathlon (p. 102).

Ou encore souvenez-vous de voitures croisées l’autre jour, «roadster Honda jaune» (p. 55), «Audi Q2 havane» (p. 56), «vaste Volvo anguleuse de couleur margarine» (p. 158), «espèce de Skoda beigeasse» (p. 232).

Tout lecteur de l’incipit du roman Un an (1997) sait toutefois qu’Echenoz se surpasse dans les gris. Rebelote avec Vie de Gérard Fulmard :

Et pour dramatiser la scène, soudain la lumière change et vire à toute allure vers un gris de plus en plus sombre, du perle vers l’anthracite via le fer pendant que les gouttes se multiplient, s’alourdissent, de plus en plus denses et compactes, la surface du bassin commence de se moucheter accelerando, bientôt on ne va même plus pouvoir s’entendre (p. 111-112).

Plus précisément, cela donne :

des vêtements — «costume et cravate ardoise» (p. 25), «costume zinc serré» (p. 50), «tailleur gris foncé» (p. 65), «tailleur anthracite strict mais orné d’un carré à motif camouflage» (95), «costume ardoise indémodable» (p. 151);

un bruit — «chuchotement continu, gris, feutré, pure haleine mécanique et sans relief» (p. 93);

des éléments du paysage urbain — «ruban gris fer du pont de Bir-Hakeim» (p. 93), «fil gris de l’île aux Cygnes» (p. 93), «patchwork de couvertures pâles à carreaux de zinc, de plomb, d’ardoise» (p. 94);

des machines — «ancienne machine à écrire à boule IBM vert-de-gris» (p. 162), «aussi vieux magnétoscope Thomson argenté mat» (p. 162);

un squale — «large masse oblongue, musculaire et nerveuse, carrossée de gris clair et de blanc» (p. 204).

Bref, «Il fait gris, l’air est sec et poudreux, Tourneur frissonne» (p. 190).

 

Références

Echenoz, Jean, Un an. Roman, Paris, Éditions de Minuit, 1997, 110 p.

Echenoz, Jean, Vie de Gérard Fulmard. Roman, Paris, Éditions de Minuit, 2020, 235 p.

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