Soit deux tweets :
Le premier, de Ianik Marcil : «Plus capable de lire que Machin ou Bidule sont “épicuriens”. Juste plus capable. LIRE : http://bit.ly/x4azJ3.»
Le deuxième, de Fabien Trecourt : «“J’aime bien manger, boire et faire la fête, je suis un épicurien” #laphrasequirendfou #contresens.»
Soit un exemple, parmi cent :
«Atmosphère : Animée, voire bruyante. Beaucoup de groupes d’amis, de représentants épicuriens de la génération Y» (la Presse, 21 avril 2012, cahier Gourmand, p. 8).
Soit une définition, qui confirme les tweets et contredit l’exemple, celle de l’épicurisme :
«Doctrine d’Épicure qui comporte une cosmologie matérialiste fondée sur la notion d’atome (physique), une théorie des sensations et une morale (reposant en partie sur une recherche raisonnée du plaisir)» (le Petit Robert, édition de 2010).
Bref, on ne confondra pas, dans la mesure du possible, passion des plaisirs et recherche raisonnée du plaisir.
[Complément du 23 juillet 2012]
Dans «Cuisiner sous le capot», le cahier Auto de la Presse se penche aujourd’hui sur la cuisson sur moteur ou «Carbecue», le barbecue de voiture (p. 12-13). Le reportage porte sur des collaborateurs du journal : «Notre équipe de journalistes qui couvre les faits divers passe un temps fou sur la route. Mais nos patrouilleurs sont deux épicuriens. Ils ont donc recours à la cuisson sous le capot, question de bien manger, peu importe où ils se trouvent» (p. 1). Les aventures gastronomiques de deux «épicuriens» sur la route, en quelque sorte.
[Complément du 19 décembre 2012]
Préparant hier soir une fondue au fromage, l’Oreille tendue, à son corps défendant, serait devenue épicurienne.
[Complément du 18 mars 2013]
Le phénomène prend de l’expansion (géographique). Régis Labeaume, le maire de la Vieille Capitale, vient en effet de déclarer que «Québec est une ville d’épicuriens. […] On adore le vice ici !» (huffingtonpost.ca, via @IanikMarcil).
[Complément du 20 janvier 2014]
Dans le Devoir des 18-19 janvier 2014, Édouard Nasri répond à la question «YOLO : le carpe diem des temps modernes ?» (p. B6) Au passage, il en découd avec épicurien :
Un autre élément de la philosophie d’Épicure reprise par Horace dans son expression carpe diem, et loin de la caricature qu’en fait inconsciemment le sens commun (ne dit-on pas — à tort — du gourmand amateur de bonne bouffe qu’il est un épicurien ?), réside dans la modération.
Si le bonheur (défini comme l’accumulation de certains plaisirs) est le but ultime de l’existence et qu’il faut donc orienter nos actions vers celui-ci, cette quête doit impérativement être faite de façon modérée.
Cette nuance, bien que d’apparence superficielle, change pourtant tout. Le plaisir doit être recherché au quotidien (dans l’activité philosophique, les relations amicales, et ce qu’on appelle communément «les petits plaisirs de la vie»), mais il faut impérativement en jouir dans la modération, c’est-à-dire éviter tout excès.
Merci.
[Complément du 13 octobre 2014]
Pour une brillante interprétation de la montée contemporaine du nouveau sens de l’épicurisme, il faut lire «Êtes-vous épicuriens ?» d’Alex Gagnon sur le blogue Littéraires après tout.
[Complément du 21 novembre 2018]
«Je remarque au passage que la postérité associe mon nom aux plaisirs démesurés de la table. Pourtant, se montrer épicurien signifie avant tout savoir faire preuve de simplicité et non de débordement» (René Bolduc, «4. D’Épicure à Michael Jackson», dans Sincèrement vôtre. Petite introduction épistolaire aux philosophes, préface de Normand Baillargeon, Montréal, Poètes de brousse, coll. «Essai libre», 2018, 232 p., p. 43-50, p. 45).
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En fait, il y a dès l’Antiquité une vue erronée de l’épicurisme – on l’associait à la philosophie du plaisir, alors que celle-ci était plutôt l’école cyrénaïque d’Aristippe, fondée sur la recherche de l’hédonisme constant.
Mais bon, je partage votre sentiment vis-à-vis cette utilisation malsaine. La prochaine personne qui m’informe de son adhérence à la philosophie d’Épicure m’entendra leur répondre: « Ah oui? Explique-moi alors la théorie du clinamen ».
L’Oreille tendue aimerait bien savoir ce qu’on vous répondra.