Le poids de la langue au hockey

Sport, 18, 4, avril 1955, p. 49

Pour la première fois depuis des décennies, semble-t-il, les Canadiens de Montréal — c’est du hockey — n’avaient aucun joueur francophone dans leur alignement lors de leur match de jeudi à Denver. (Précisons. Des joueurs qui parlent français, si. Des joueurs du Québec, si. Des souches, non.)

Cela fait écrire.

Dans le Devoir de ce matin, dans la section «Idées», Marc Tremblay déplore «La fin des “Flying Frenchmen”».

En fermant la porte au fait français, le CH a renié son identité profonde, ce lien unique entre une équipe sportive et une collectivité. Si la pierre d’assise de ce lien était la langue, elle se construisait aussi sur un style et une passion du jeu tout à fait singuliers. La fougue et la détermination d’un Maurice Richard, l’inventivité d’un Jacques Plante, la grâce d’un Jean Béliveau, la flamboyance d’un Guy Lafleur jusqu’à l’arrogance d’un Patrick Roy étaient le ferment de ce hockey sans égal qui, au fil des décennies, a valu au CH le surnom anglophone de «Flying Frenchmen». Où diable est passé cet héritage inestimable ? Comme tant d’autres choses, on l’a cédé à des Américains, des Européens, des anglophones du ROC venus en mercenaires prendre un flambeau qui, plutôt que d’allumer leur flamme, leur brûle les doigts. Un peu comme l’épée d’Excalibur qui n’a de pouvoir que pour celui auquel elle est destinée…

Dans le Journal de Montréal d’hier, un autre Tremblay, Réjean, défend une semblable position nationaliste. Il ne fait cependant pas appel à l’imaginaire médiéval («l’épée d’Excalibur»), mais à un passé tragique bien moins ancien : «L’œuvre d’éradication des frogs entreprise par Bob Gainey et Pierre Gauthier avec Trevor Timmins comme homme de main a obtenu la solution finale»; «Mais la solution finale de mercredi soir cache un autre problème.»

La «solution finale» ? «Le projet d’extermination des juifs par les nazis lors de la Seconde Guerre mondiale», dit le Petit Robert (édition numérique de 2014).

Au Québec, il arrive que le discours sur le hockey fasse perdre toute perspective. Les mots ont pourtant un poids, qu’il serait bon de ne pas complètement perdre de vue.

P.-S. — Note destinée aux non-autochtones : «frogs» est une insulte ethnique visant à dévaloriser les francophones, ces (mangeurs de) grenouilles.

 

Illustration : Jack Newcombe, «Montreal’s Flying Frenchmen», Sport, 18, 4, avril 1955, p. 48-57, p. 49.

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