La revue le Sport illustré de janvier 1952 publie un poème de Maurice Desjardins (p. 19).
«Les Canayens sont là !
Le Forum était plein et tous ses sièges jaunes
Regorgeaient de clients fiévreux et palpitants.
Brandissant un billet j’arrivai dans ma zone
Impatient d’applaudir nos dignes Habitants.
Pour être dans l’ambiance, en digne patriote,
Je venais d’engloutir un plat de fèves au lard,
Une bonne soupe aux pois et un plat d’échalotes
J’attendais en rotant l’arrivée de Richard.
Parti pour l’étranger il y a plusieurs années
Je brûlais de revoir nos glorieux Canayens
Longtemps j’avais souffert, comme une âme damnée,
De ne pas assister aux faits d’armes des miens.
Je faillis me pâmer en voyant Dick Irvin
Ce défenseur des nôtres, apparaître en souriant
Par un étrange effet de la pitié divine
La foule l’aperçut et se leva, criant :
“Hourrah pour Dick Irvin, l’ami du clan français”.
Les hymnes nationaux mirent fin au vacarme
Et tout de suite après, la joute commençait;
Je n’étais pas le seul à être ému aux larmes.
Consultant le programme au dessin tricolore,
Je jetai un coup d’œil sur les alignements.
Je vis que Geoffrion, Pronovost et Bouchard
Faisaient toujours partie de notre groupement.
Quelle noble équipe avec Béliveau,
Son Locas, son Rousseau et son vif Corriveau !
Dolbec et Désaulniers, Locas et Saint-Laurent !
Pas étonnant qu’ils soient toujours au premier rang.
Plante dans les filets et sa tuque à pompon
Dussault et Tod Campeau flanqués de Plamondon
Laprade et Chèvrefils à l’attaque sans cesse
Mon cœur était vraiment débordant d’allégresse.
Et des Français volants avides de gloire
Le long sifflet final annonça la victoire
Détroit fit son possible et se défendit bien
Mais allez donc résister à tant de Canayens !…»
Ces «Canayens» sont les Canadiens de Montréal — c’est du hockey —, où ils jouent au Forum.
De retour chez lui après «plusieurs années», le poète n’a pas oublié son sport. Il sait que le gardien de but Jacques Plante aime tricoter, lui qui porte une «tuque à pompon». Les Montréalais sont rapides («Français volants»). Les couleurs de l’équipe sont le bleu, le blanc et le rouge («dessin tricolore»). L’on dit souvent du hockey qu’il est une religion au Québec; cela est discrètement évoqué («âme damnée», «pitié divine»).
L’inventivité de la rime mérite d’être signalée. Les six premières strophes sont de structure a-b-a-b; les trois dernières, a-a-b-b. Il est rare de parler de «groupement» pour désigner une équipe, mais cela permet la rime avec «alignements» (la liste des joueurs). L’anglais («Irvin») rejoint le français («divine»). Une paire est osée : «tricolore» / «Bouchard». Surtout, la deuxième strophe est alimentaire et nationaliste : le «patriote» apprécie les «échalotes»; il n’a pas peur de faire répondre Maurice «Richard» au «plat de fèves au lard». Celui qui parlait des «dignes Habitants» et se définissait comme un «digne patriote», qui évoquait «nos glorieux Canayens», change de registre et s’imagine «rotant».
Dick Irvin serait un «défenseur des nôtres», «l’ami du clan français». Ce portrait est inhabituel : l’entraîneur des Canadiens n’a généralement pas aussi bonne presse auprès des partisans francophones. Il est vrai qu’il ne dirige pas une équipe réelle : les joueurs francophones énumérés par le poète n’ont pas tous joués (ensemble) professionnellement pour les Canadiens; cette équipe composite est une équipe rêvée.
La poésie sportive sert aussi à cela.
P.-S.—En effet : ce n’est pas la première fois que notre chemin croise celui de Maurice Desjardins.
P.-P.-S.—En effet : ce n’est pas la première fois que nous tombons sur un poème mettant en scène «le Rocket».
P.-P.-P.-S.—L’érudition des lecteurs de l’Oreille tendue ne cesse de l’épater. Merci à Pierre Cantin de cette belle découverte.
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