(À l’occasion, tout à fait bénévolement, l’Oreille tendue essaie de soigner des phrases malades. C’est cela, la «Clinique des phrases».)
Vous ouvrez un roman québécois récent et l’envie vous prend de poser quelques questions à vos fidèles bénéficiaires. Allons-y.
P. 36 : «cheveux bruns cirés, rasé de près, chemise aux manches roulées, cravate savamment dénouée, montre dispendieuse». P. 144 : «tout en mangeant des hot-dogs criminellement peu dispendieux». P. 229 : «puis esquisse une petite danse de la victoire qui fait tinter sa breloque dispendieuse avant de retourner à sa place».
Dans ces trois phrases, quel québécisme aurait-il peut-être mieux valu ne pas utiliser ?
P. 39 : «Confronté à sa soif de sens, Internet ne parvient pas à le satisfaire.»
Comment «Internet», mis en apposition, pourrait-il être «confronté» à la «soif de sens» du personnage principal du roman («le satisfaire») ?
P. 50 : «Cependant, Claude est à des lieux de ces préoccupations de rendement humain […].»
Ces «lieux» sont-ils bien des «lieux» ?
P. 54 : «Dans un coin du paquet, à peine entamée, la petite butte de wasabi brunit doucement, en voie devenir pierre tout à fait.»
Quel est le mot manquant dans cette phrase ?
P. 58 : «Aude, j’ai quelque chose à te demander, demande Claude […].»
Cette répétition est-elle bien nécessaire ?
P. 166 : «l’appel que Claude a logé à La Presse canadienne demeure sans réponse».
Peut-on vraiment loger un appel ?
P. 191 : «La politesse canadienne intime l’étranger à ne pas rudoyer son interlocuteur en consultant l’objet qu’il lui tend.»
N’attendrait-on pas «intime à l’étranger de ne pas» ?
P. 193 : «un compte-rendu sportif». P. 266 : «des comptes-rendus sportifs»; «mon compte-rendu».
Pourquoi diantre ces traits d’union ?
P. 203 : «il avait dosé l’information et alludé les liens».
«Alludé» comme, en anglais, to allude ?
P. 216 : «payeur de taxe diligent».
S’agirait-il d’un contribuable ? Par ailleurs, est-il «payeur» d’une seule «taxe» ?
P. 226 : «L’inquisition du criminel le désarçonne. À moins que ce soit son étrangle franglais bilingue.»
Certaines personnes, dont l’Oreille tendue, s’interrogent sur l’existence même de cette chose qui s’appellerait le franglais. En revanche, tout le monde semble s’entendre sur le fait qu’il s’agirait d’un mélange d’anglais et de français. Comment, dès lors, le «franglais» pourrait-il ne pas être «bilingue» ?
P. 263 : «lui répond l’homme dans un français impeccable, mais qu’une oreille exercée y dénoterait pourtant une ombre anglophone».
L’Oreille, toute bienveillante qu’elle souhaite être, ne comprend guère la syntaxe de cette phrase. Remettons-la d’aplomb : «mais où / dans lequel une oreille exercée dénoterait pourtant».
À votre service.
P.-S.—L’incohérence pronominale de la p. 167 serait trop longue à expliquer. Passons notre chemin.
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