«Il faut attendre que Marion vienne s’asseoir pour qu’on commence à se parler — des bouts de conversations qu’on ne finit pas vraiment, s’interrompant pour rien parce que, tiens, écoute — et on tend l’oreille deux minutes sur un sujet qui nous intéresse aux infos, laissant tomber ce qu’on avait commencé à dire et qu’on dira tout à l’heure ou demain ou encore un autre soir, car tous les soirs les mêmes conversations reviennent, se prolongent, s’étirent d’une journée à l’autre, d’une semaine à l’autre, comme s’il s’agissait d’une seule et unique conversation qui se répétait, se dépliait, se transformait chaque soir, faite de mots identiques ou avec quelques variations, à la marge, sur un détail, une idée nouvelle, sur la journée qu’on a passée, oui, Marion raconte, bof, pas très intéressant aujourd’hui, à vrai dire je crois qu’on a fait une connerie avec les filles, c’est-à-dire qu’on a fait ce qu’un client avait demandé, des affiches, des marque-pages, sans lui demander s’il avait les droits pour les images.»
Laurent Mauvignier, Histoires de la nuit, Paris, Éditions de Minuit, 2020, 634 p., p. 71.
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