«Je courais à la salle à manger, et je revenais à pas lents, portant avec respect cette arme précieuse.
L’oncle ouvrait toujours la culasse, pour voir si le fusil n’était pas chargé.
Puis il allait se poster derrière la haie du jardin. Mon père, Paul et moi, nous formions un demi-cercle autour de lui. L’oncle, les sourcils froncés, l’oreille tendue, le dos voûté, essayait de voir à travers les feuilles, non pas ce pauvre chemin pierreux, mais les vignes dorées du Roussillon. Soudain, il lançait deux aboiements aigus et brefs. Puis, soufflant puissamment entre ses lèvres molles, il imitait l’envol ronflant d’une compagnie de perdreaux. Alors, il faisait le pas en arrière, et regardait intensément le ciel, au ras de la haie. Puis il épaulait vivement, donnait le petit coup sec, et criait : “Pan ! pan !” Sur quoi, nous rentrions tous les quatre la tête dans nos épaules contractées, et nous demeurions immobiles, les yeux fermés, prêts à supporter le choc d’un “volatile d’un kilo lancé à soixante à l’heure.”»
Marcel Pagnol, la Gloire de mon père, Paris, De Fallois, coll. «Fortunio», 2004, 227 p., p. 152. Édition originale : 1957.
Cette œuvre est sous Licence Creative Commons Internationale Attribution-Pas d'Utilisation Commerciale 4.0.