«Je me rappelle mon premier réveil en Chine populaire. C’était l’été et j’avais beau tendre l’oreille, quelque chose manquait. Il me fut difficile d’identifier la nature de cette carence. Il s’agissait du chant des oiseaux.»
«Lorsque les températures deviennent par trop négatives, certains oiseaux émettent un chant d’une beauté déchirante. Il n’y a pas d’explication biologique à cette splendeur. La seule que les ornithologues ont donnée est celle-ci : la révélation de la beauté diminue l’angoisse due au froid. En cas de canicule, on peut tendre l’oreille : aucun oiseau ne chante.»
«Je ne tardai pas à élucider une vérité merveilleuse, à savoir que les oiseaux sont des individus. Affirmer que le rouge-gorge chante bien équivaut en sottise à déclarer que l’homme chante bien. En tendant l’oreille, je décelais quel rouge-gorge avait du talent. Ce n’était pas uniquement une question de spécimen. De même que les plus grands chanteurs d’opéra peuvent ne pas être au sommet de leur forme pour mille raisons différentes, un seul rouge-gorge pouvait manquer de talent tel jour ou à telle heure.»
«J’essentiel, c’est l’émetteur. Certains défunts émettent et d’autres pas. J’espère que c’est uniquement fonction de leur désir et non d’autres facteurs moins sympathiques. Je le répète : le silence n’est pas mauvais signe. Nous l’avons tous remarqué, il y a des silences heureux. Certains morts trouvent aussitôt, si j’ose dire, l’équilibre.
À nous de tendre l’oreille, la seule qui fonctionne, celle du désir, pour le cas où le défunt a quelque chose à ajouter. Avec mon père, ce fut clair comme de l’eau de roche. Parfois, ça peut être autrement ambigu. Si un mort détesté tente d’entrer en communication avec vous, raccrochez. On a le droit de refuser. Si l’importun insiste, répétez comme un mantra : “Je n’ai rien à vous dire.” Il finira par se lasser. Ce genre de défunt recourt presque toujours à la culpabilité en guise de levier. Ne tombez pas dans le piège. Vous le détestiez de son vivant, n’imaginez surtout pas que le décès l’ait changé.»
Amélie Nothomb, Psychopompe. Roman, Paris, Albin Michel, 2023. Édition numérique.
Cette œuvre est sous Licence Creative Commons Internationale Attribution-Pas d'Utilisation Commerciale 4.0.