Les jurons constituent une grande part du patrimoine linguistique québécois.
Certains romanciers rappellent qu’il s’agit d’un héritage à transmettre; c’est le cas de François Blais.
Les auteures de l’inénarrable ouvrage le Parler québécois pour les nuls (2009), dont l’Oreille tendue parlait hier, ont un chapitre intitulé «Jurons québécois» (chapitre 15, p. 213-216). On y apprend notamment qu’il faut distinguer le sacre (le juron) «comme substantif» (le petit crisse), «comme adjectif qualificatif» (une crisse de grosse montagne), «comme adverbe d’intensité» (crisse que t’es fin) et «comme verbe» (j’ai crissé ma job là). Cette partition se tient. (Sur le strict plan des catégories grammaticales, il y a du travail à faire.) En revanche, la nomenclature fait place à des termes inconnus des sacreurs impénitents (l’Oreille, par exemple). «Colaye» ? «Câlache» ? «Criffe» ? «Estin» ? «Sacrafayeïce» ? «Cibon» ? «Ciboulon» ? L’Oreille est sceptique.
Elle aurait peut-être intérêt à consulter Artiom Koulakov, ce linguiste russe que présentait le Devoir de la fin de semaine dernière («Juré sacré, kamarad !», 10-11 avril 2010, p. D5). Selon ce professeur de l’Université d’État de Saratov, «avec un nombre limité de gros mots, “les Québécois ont créé un nombre infini de sacres”. Voilà de quoi être fier.» Infini ? Vraiment ?
Quoi qu’il en soit, comme le signalait Jean Dion sur son blogue, le Québec vient de perdre, en la personne du syndicaliste Michel Chartrand, un de ses plus fidèles praticiens du sacre (crisse, câlisse, hostie, calvaire, estie, etc.).
Heureusement, la relève est là.
Références
Blais, François, Vie d’Anne-Sophie Bonenfant. Roman, Québec, L’instant même, 2009, 241 p.
Gazaille, Marie-Pierre et Marie-Lou Guévin, le Parler québécois pour les nuls, Paris, Éditions First, 2009, xiv/221 p. Préface de Yannick Resch.
Sabourin, Marc-André, «Juré sacré, kamarad ! Quand un linguiste russe s’entiche du juron québécois», le Devoir, 10-11 avril 2010, p. D5.
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J’atteste l’authenticité de « criffe », assez usité dans ma Beauce natale, et de « sacrafayeïce », en fait une prononciation de « sacrifice » influencée par l’anglais. Mon père l’utilisait parfois. Peut-être est-ce un régionalisme estrien (il avait grandi à Sherbrooke)?
Grand merci pour la double information : l’Oreille tendue aime apprendre.
Cela dit, c’est un peu ennuyeux pour les auteures du Parler québécois pour les nuls, elles qui écrivent : «Nous ne mettrons donc pas l’emphase [sic] sur les expressions régionales ou marginales et prioriserons [re-sic] les expressions connues et employées dans le langage québécois quotidien» (p. 2).
À propos de Michel Chartrand, Pierre Foglia (qui pratique lui-même abondamment le sacre) lui consacre sa chronique d’aujourd’hui, intitulée « Tabarnak »…
En effet : la Presse, 14 avril 2010, p. A15.
« Criffe » et « colaye » (que j’ai toujours imaginé écrit « colaille ») étaient usités par chez moi (banlieue nord de Montréal): versions euphémistiques dont l’usage était toléré dans la cour d’école…
Quand il était excédé, mon grand-père disait « barnak » (en roulant le « r » et en faisant précéder d’un « eh »). Si les charmantes auteures du PQPLN laissent tomber les régionalismes, je crains qu’elles n’aient pu s’autoriser à commenter ce genre de « familialisme »…
Qu’arrive-t-il avec les Saint-Simonaque, Baptême, Viarge, Jésus, Sain chrême ? Il me semble qu’ils tombent en désuétude. Peut-être justement parce qu’il est impossible de les changer de catégorie grammaticale. « Vierger » ou « Saint chrêmer » le vélo dans la valise du char, ça sonne mal. C’est malheureux, quand même…
Sinon, pour les sacres édulcorés, il y a les classiques « câline de binne », « mautadine » et « tabarouette » qui sont plutôt populaires. Je n’ai pourtant jamais entendu « sacrafayeïce », « cibon » ou « ciboulon » ni à Montréal, ni dans mon Bas-du-Fleuve natal. De toute façon, ça n’a aucun impact.