«J’ai dû réapprendre ma langue maternelle, que j’avais abandonnée trop tôt. De toute manière, je ne l’avais pas vraiment maîtrisée de façon complète parce que le pays était divisé en deux quand je suis née. Je viens du Sud, alors je n’avais jamais entendu les gens du Nord avant mon retour au pays. De même, les gens du Nord n’avaient jamais entendu les gens du Sud avant la réunification. Comme au Canada, le Vietnam avait aussi ses deux solitudes. La langue du nord du Vietnam avait évolué selon sa situation politique, sociale et économique du moment, avec des mots pour décrire comment faire tomber un avion à l’aide d’une mitraillette installée sur un toit, comment accélérer la coagulation du sang avec du glutamate monosodique, comment repérer les abris quand les sirènes sonnent. Pendant ce temps, la langue du sud avait créé des mots pour exprimer la sensation des bulles du Coca-Cola sur la langue, des termes pour nommer les espions, les rebelles, les sympathisants communistes dans les rues du sud, des noms pour désigner les enfants nés des nuits endiablées des GI.»
Kim Thúy, Ru, Montréal, Libre expression, 2009, 144 p., p. 88-89.
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