Il est beaucoup question de famille(s) dans les Murailles d’Erika Soucy (2016). Parlons-en familialement.
Fille. La narratrice, Erika Soucy, part quelques jours au campement des Murailles, près du chantier hydroélectrique Romaine-2, dans le nord du Québec, avec comme seule lecture un recueil de Denis Vanier. Elle va y retrouver son père, Mario, histoire d’essayer de comprendre pourquoi celui-ci a passé une partie de sa vie dans ce genre de lieu, éloigné volontairement de sa famille. Ils ont eu des relations difficiles : «Je pouvais pas laisser mon père comme on laisse son mari. J’ai pourtant essayé» (p. 143).
Père. Pourquoi Mario a-t-il choisi ce genre de vie contre la «vie d’en bas» (p. 137) ? Erika Soucy finit par le comprendre. Il a cherché hors du monde familial un «genre de quiétude, une facilité» (p. 148), une vie «commode, confortable même» (p. 149) — une mise à distance de la responsabilité.
Mère. Elle a longtemps toléré les absences et les frasques de Mario (drogue, alcool), puis plus. On n’en saura guère plus, sinon qu’il y a des choses que ses enfants, même adultes, doivent lui cacher : «Faut pas le dire à m’man ! Faut pas le dire à m’man !» (p. 132)
Frère. Homme des bois, il peut parler plus facilement à sa sœur qu’à son père.
Mari. Erika Soucy est poète. Or ce qu’elle donne à lire, ce ne sont pas des poèmes, mais un «journal» (p. 72), un «carnet» (p. 148) : «Tout te raconter dans mon carnet me permet de mettre des mots sur ce que ma poésie peut pas transmettre» (p. 78). Cela est adressé à un «tu», son mari, resté à Québec.
Enfant. Ce mari (ce «chum») s’occupe de leur fils d’un an, pendant que la narratrice est partie. Elle regrette de ne pas être là pour le premier anniversaire de son «gars», mimant ainsi en quelque sorte l’absence de son propre père.
Demi-sœur. À un moment, Mario a eu brièvement une nouvelle compagne, de l’âge d’Erika. Ensemble, ils ont eu une fille. «Il est devenu père et grand-père en dedans de huit mois, comme ça arrivait dans le temps, avec les familles nombreuses» (p. 50).
Grand-père. Lui aussi était homme de chantier : l’oncle Gérard, aussi présent aux Murailles, «enchaîne avec une histoire sur mon grand-père comme ça arrive tout le temps dans la famille quand on parle de construction» (p. 102). Ce grand-père aurait couché avec Alys Robi et il aurait été l’ami du Grand Antonio, l’homme qui tirait des autobus «avec ses cheveux» (p. 103-104).
Ancêtres (I). Le racisme envers les Amérindiens est fréquemment évoqué dans le «roman» (le mot est en couverture). La phrase «Y a pas d’ancêtres icitte» (p. 95) leur est destinée, mais on peut l’entendre plus généralement : le chantier est un lieu hors du temps et, par là, d’une certaine façon, hors de la filiation assumée.
Ancêtres (II). Racisme ou pas, parmi les aïeux d’Erika et de son frère, «de l’innu, on en a des deux bords» (p. 136), du côté maternel comme du paternel.
Beau-père. Il n’y a pas que le famille d’Erika Soucy dans les Murailles. Un des ouvriers du chantier aurait été — le conditionnel est de mise — le gendre de Jacques Brault. Le récit d’une beuverie chez ce poète (p. 57-58), avec Pauline Julien et Roland Giguère, est hautement comique (et improbable).
Langue maternelle. La langue d’Erika Soucy est fortement oralisée, pleine d’anglicismes et de régionalismes (l’adverbe «astheure», l’adjectif «chouenneux», le substantif «fait-ben», le groupe verbal «faire la job»), nourrie de jurons (dont un «criff», forme plus rare que d’autres). Dans sa famille, on parle le français québécois.
P.-S. — L’auteure a beau pratiquer une langue verte, elle sait que la locution conjonctive après que commande l’indicatif, non le subjonctif (p. 54, p. 136). On a des lettres ou on n’en a pas.
Référence
Soucy, Erika, les Murailles, Montréal, VLB éditeur, 2016, 150 p.
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