«Mais les paysans étaient plus nombreux et les jours de marché, M. de Faverges, se promenant sur la place, s’informait de leurs besoins, tâchait de les convertir à ses idées. Ils écoutaient sans répondre, comme le père Gouy, prêt à accepter tout gouvernement pourvu qu’on diminuât les impôts.
À force de bavarder, Gorju se fit un nom. Peut-être qu’on le porterait à l’Assemblée.
M. de Faverges y pensait comme lui, tout en cherchant à ne pas se compromettre. Les conservateurs balançaient entre Foureau et Marescot. Mais le notaire tenant à son étude, Foureau fut choisi; un rustre, un crétin. Le docteur s’en indigna.
Fruit sec des concours, il regrettait Paris, et c’était la conscience de sa vie manquée qui lui donnait un air morose. Une carrière plus vaste allait se développer; quelle revanche ! Il rédigea une profession de foi et vint la lire à MM. Bouvard et Pécuchet.
Ils l’en félicitèrent; leurs doctrines étaient les mêmes. Cependant, ils écrivaient mieux, connaissaient l’histoire, pouvaient aussi bien que lui figurer à la Chambre. Pourquoi pas ? Mais lequel devait se présenter ? Et une lutte de délicatesse s’engagea. Pécuchet préférait à lui-même son ami. “Non, ça te revient ! tu as plus de prestance !
— Peut-être, répondait Bouvard, mais toi plus de toupet !” Et, sans résoudre la difficulté, ils dressèrent des plans de conduite.
Ce vertige de la députation en avait gagné d’autres.»
Gustave Flaubert, Bouvard et Pécuchet, Paris, Garnier-Flammarion, coll. «GF», 103, 1966, 378 p., p. 179-180. Chronologie et préface par Jacques Suffel. Édition originale : 1881 (posthume).
Cette œuvre est sous Licence Creative Commons Internationale Attribution-Pas d'Utilisation Commerciale 4.0.