«Le corps de Prophète
Dix heures du soir. Je vois Da tendre l’oreille.
— On dirait des bruits de pas, dit Da. Tout près d’ici…
Fatal regarde par le trou de la serrure.
— Venez par ici, Da. Venez voir… On dirait qu’ils transportent quelqu’un.
— Mais oui, Fatal, tu as raison. C’est un corps qu’il y a dans le sac.
— Mais qu’est-ce qu’ils sont en train de lui faire ? Ils sont complètement soûls.
Soudain la porte s’ouvre. Da sort sur la galerie. Les deux mains sur les hanches.
— Bande d’assassins ! Vous n’avez pas le droit de traiter un être humain ainsi. Vous ne respectez rien. Charognards !
Da crache par terre. La lune blafarde. Les visages étonnés du petit groupe de tueurs.
— Si ce n’était pas vous, Da, lance quelqu’un dont le visage est caché sous une cagoule.
— Vous ne me faites pas peur, bande de lâches. Qu’est-ce que vous voulez encore à ce malheureux ?
— Vous le voulez, Da ? dit un grand type en lançant le sac sur notre galerie.
Et ils continuent leur chemin en gueulant des chants obscènes» (p. 138-139).
«Le départ
Je suis prêt depuis quatre heures du matin. Ma valise, appuyée contre la porte d’entrée. Gros Simon avait dit à Da qu’il passerait me prendre vers six heures. Da ne s’est pas couchée de la nuit. J’ai fait semblant de dormir. De temps en temps, je soulève la pointe du drap pour regarder Da en train de marcher dans toute la maison. Elle marmonne quelque chose que je n’arrive pas à comprendre. Est-ce un chant, une prière ou un monologue ? Je tends l’oreille, mais je ne parviens à saisir aucun mot. Elle essuie sans cesse tout (les meubles, les verres sur la panetière, les images saintes, les statuettes) comme si on était en plein jour. Finalement l’aube. Et Marquis qui se met à aboyer sans raison. Se doute-t-il de quelque chose ? (p. 195-196)
Dany Laferrière, le Charme des après-midi sans fin, Outremont, Lanctôt éditeur, 1997, 208 p.
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