«Exposés sur ce silence qui n’en absorbait rien, les bruits les plus éloignés, ceux qui devaient venir de jardins situés à l’autre bout de la ville, se percevaient détaillés avec un tel “fini” qu’ils semblaient ne devoir cet effet de lointain qu’à leur pianissimo, comme ces motifs en sourdine si bien exécutés par l’orchestre du Conservatoire que, quoiqu’on n’en perde pas une note, on croit les entendre cependant loin de la salle du concert, et que tous les vieux abonnés — les sœurs de ma grand’mère aussi quand Swann leur avait donné ses places — tendaient l’oreille comme s’ils avaient écouté les progrès lointains d’une armée en marche qui n’aurait pas encore tourné la rue de Trévise.»
Marcel Proust, Du côté de chez Swann, édition de Pierre Clarac et André Ferré, Paris, Gallimard, coll. «Folio», 821, 1976, 504 p., p. 46.
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Parmi les plus beaux passages de Marcel Proust figurent ceux consacrés à la sonate de Vinteuil dans « Du côté de chez Swann » : ce sont de véritables morceaux d’anthologie, des joyaux de poésie en prose, qui confèrent à ce morceau imaginaire, que nul n’a jamais entendu, la même aura magique que celle qu’ont des morceaux de musique réels et connus de tous. Le seul point qui me gêne chez Proust c’est sa vision pessimiste de l’amour, fondée sur son expérience personnelle mais que contredisent d’innombrables exemples, y compris célèbres. En matière d’amour et de sexualité, généraliser en se basant sur son propre vécu est une erreur intellectuelle à éviter. Et pourtant Proust est l’auteur de certaines des phrases les plus belles et profondes jamais écrites sur ce sujet. Comme par exemple « L’amour c’est l’espace et le temps rendus sensibles au cœur. » (« La Prisonnière »).