De (grand-)mère en (petite-)fille

Catherine Lalonde, la Dévoration des fées, 2017, couverture

«on fait pas des moumounes dans la famille»

Ne vous laissez pas avoir : même s’il y a des comptines et des berceuses dans la Dévoration des fées, ça joue très dur chez Catherine Lalonde.

Pour aller vite : le livre est composé de poèmes en prose, à défaut de meilleur terme, aucun (sauf un) ne dépassant une page, regroupés en cinq parties. Ça s’ouvre, à la campagne, sur un récit d’accouchement, que vous n’oublierez pas, et sur la mort (p. 12-14). Ça ne va guère aller mieux par la suite.

«La p’tite», née avec la mort de sa mère, Blanche, est élevée par sa grand-mère, Grand-maman, entourée de quatre frères et demi, aux prénoms évangélicobibliques : Jean-Jude («JJ»), Pierre-Joseph («le ti-cul»), Luc, Matthieu et Jacques («le mongol», «celui qui compte à moitié», p. 15). Sa vie n’est pas placée sous les meilleurs auspices : saleté, pauvreté, inceste, «cathédrale de crachats et de glaire» (p. 62). Les premiers mots qu’elle a entendus disaient déjà tout : «Fuck. / C’est une fille» (p. 19). Avec l’aïeule, à qui on doit ce jugement sans appel, on rit peu : «Tonnerre de joie, aussitôt encagé en souvenir dans les têtes de la trâlée cerbère» (p. 69).

On la voit grandir, «la p’tite». Son corps change («On ne fera pas une scène des premières menstrues», p. 74), elle découvre le plaisir, seule ou pas. «Bonne fille ? Sage ? Non. Sauvage, tourbillonne, en désordre maximal» (p. 76). Va-t-elle, «Comme moi, fuck, comme toutes» (dixit sa grand-mère, p. 81), rentrer dans le rang ? C’est peu plausible.

Rupture(s), pour le quatrième segment. Elle quitte Sainte-Amère-de-Laurentie pour Surréal : «La p’tite hulule de joie sous les éclairs, dans une sublime dilution. Bienvenue en ville» (p. 89). C’est une fête :

La vie est un spectacle. Assise sur le toit de l’église gratte-ciel — elle grimpe par l’échelle de secours, ou d’entretien des tuiles et des cloches, on ne sait trop —, les pieds dans le vide, à côté de la croix mauve scintillante, elle reste fascinée par les autres, tous les autres qui défilent sans effort, à dix mètres du sol, sur les trottoirs pneumatiques, fascinée par leurs masques colorés sons et lumières. Magnifique faune d’effraies, une faune du dimanche : les cothurnes, scyllas et sombreros; les femmes de Noël nowhere en paillettes, lamé, triples faux-cils, bigoudis et scaphandres; les skins en stilettos, les enfants à barbe, les albinos peroxydés, les moujiks à crinoline, les topless à implants de cuirette, les ours volants virtuels, les sébums hygiéniques, les hermines irriguées au B-, les pompadours et les mohawks, les vendeurs de chars, les strip-teaseuses, les tatoués de bonne heure, tous devant cette jeune ô si jeune tigresse affamée lâchée lousse qui s’esclaffe Mon Dieu, c’est plein d’étoiles ! (p. 93)

Elle rentrera finalement «à la malmaison du malamour» (p. 114). À vous de l’y retrouver.

La langue de Catherine Lalonde mêle expressions populaires québécoises («grafignes», «garnotte»), mots rares ou techniques («vernix», «frairie», «agglutinat», «asonie») et néologismes («bécédaire», «balbutienne», «javellisage»). Les reprises et variations sont savamment enchevêtrées. L’univers littéraire de référence est clairement féminin : Lalonde évoque D. Kimm, Geneviève Desrosiers, Hélène Monette et Josée Yvon, mais elle fait résonner aussi bien Marguerite Duras que Marie-Claire Blais. (Blais : «Les pieds de Grand-Mère Antoinette dominaient la chambre» [p. 7]. Lalonde : «La p’tite vient s’asseoir aux pieds de l’aïeule, pose une main à son genou. La p’tite touche Grand-maman» [p. 122].)

Ne vous laissez pas avoir : lisez. Vous apprendrez, entre autres choses, le prénom de «la p’tite».

 

Références

Blais, Marie-Claire, Une saison dans la vie d’Emmanuel, Montréal, Quinze, coll. «Roman», 1978, 175 p. Édition originale : 1965.

Lalonde, Catherine, la Dévoration des fées, Montréal, Le Quartanier, «série QR», 112, 2017, 136 p.

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