Lecture de lit

Prévost, Histoire d’une Grecque moderne, éd. de 1990, couverture

«Il me vint à l’esprit que si j’avois des lumières certaines à espérer, c’étoit au lit même de Théophé, qui étoit encore en désordre. Je saisis avidement cette pensée. Je m’en rapprochai avec un redoublement de crainte, comme si j’eusse touché à des éclaircissemens qui emportoient la dernière conviction. J’observai jusqu’aux moindres circonstances, la figure du lit, l’état des draps et des couvertures. J’allai jusqu’à mesurer la place qui suffisoit à Théophé, et à chercher si rien ne paraissoit foulé hors des bornes que je donnois à sa taille. Je n’aurois pu m’y tromper; et quoique je fisse réfléxion que dans une grande chaleur elle pouvoit s’être agitée pendant le sommeil, il me sembloit que rien n’étoit capable de me faire méconnoitre ses traces. Cette étude, qui dura longtems, produisit un effet que j’étois fort éloigné de prévoir. N’aiant rien découvert qui n’eût servi par dégrés à me rendre plus tranquille, la vue du lieu où ma chère Théophé venoit de reposer, sa forme que j’y voyois imprimée, un reste de chaleur que j’y trouvois encore, les esprits qui s’étoient exhalés d’elle par une douce transpiration, m’attendrirent jusqu’à me faire baiser mille fois tous les endroits qu’elle avoit touchés. Fatigué comme j’étois d’avoir veillé toute la nuit, je m’oubliai si entièrement dans cette agréable occupation, que le sommeil s’étant emparé de mes sens, je demeurai profondément endormi dans la place même qu’elle avoit occupée.»

Abbé Prévost, Histoire d’une Grecque moderne, édition établie par Alan J. Singerman, Paris, GF-Flammarion, coll. «GF», 612, 1990, 345 p., p. 254-255. Édition originale : 1740.

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