Au cours de précédentes aventures, nous avons vu fleurir la langue de bois, la langue de coton, la langue de verveine et, cela va de soi, la langue de margarine.
Une fidèle lectrice de l’Oreille tendue, continuons à l’appeler l’Acéricultrice, vient de lui faire découvrir, repérée par Jacques Roubaud, la langue de muesli.
Définition tirée de Poésie, etcetera : ménage (1995) :
La langue de bois ne convient pas à ECOPROF [ÉCOnomie de PROFit]; ni à TONUTRIN [TOut NUmérique à TRansmission INstantanée]; encore moins à IVIMON [Idée du VIllage MONdial];
qui préfèrent une langue non rigide, souple; non officielle, officieuse; non imposée, répandue librement par les journaux, la télévision,…
Cette langue, faute de mieux, nommons-la langue de muesli.
La langue-muesli est molle, caoutchoutée, médiocre, laide (p. 36-37).
Elle est donc parfaitement incompatible avec la poésie.
P.-S.—Depuis sa création, la langue de muesli ou langue-muesli est devenue, toujours chez Roubaud, la GLAM (la grande langue molle ou grosse langue molle). Pourquoi ? En voyage au Japon, Roubaud a dû constater que les Japonais n’avaient aucune idée de ce qu’était le muesli. Il a alors choisi une autre dénomination. Ce sera pour un autre épisode.
[Complément du 13 mai 2018]
En 2013, dans sa contribution à l’ouvrage collectif Défense et illustration de la langue française aujourd’hui, Roubaud revient sur les raisons qui lui ont fait préférer glam (grosse langue molle) à langue-muesli (toujours le Japon) et il distingue ces deux expressions de langue de bois. L’Oreille tendue découvre dans ce texte la langue de cire, que l’on devrait à l’historien des religions Olivier Gillet : «Elle sert à bien boucher les oreilles. Les langues de cire sont des filles naturelles des langues de bois» (p. 13).
[Complément du 19 août 2019]
Le poète Pierre Morency apporte sa pierre à l’édifice : «Le bruit du décor, ça peut être le langage usé qui ne veut rien dire, la langue de bois, la langue de cuir des administrations, la langue plate, toxique» (Dominic Tardif, «Le faisceau de lumière qui clarifie Pierre Morency», le Devoir, 17-18 août 2019, le D magazine, p.22).
Références
Roubaud, Jacques, Poésie, etcetera : ménage, Paris, Stock, coll. «Versus», 1995, 282 p.
Roubaud, Jacques, «Défendre ? Illustrer ? Et cætera : remarques», dans Défense et illustration de la langue française aujourd’hui, Paris, Gallimard, 2013, p. 11-16.
Cette œuvre est sous Licence Creative Commons Internationale Attribution-Pas d'Utilisation Commerciale 4.0.