Il y a des jours où l’Oreille tendue se sent plus vieille que d’autres. Cela lui est arrivé, et doublement, ces jours-ci.
En équipée familiale dans un parc d’attractions montréalais, elle a pu constater qu’il y a des activités qui sont de moins en moins pour elle — si tant est qu’elles l’aient déjà été — et que la langue évolue parfois par des chemins auxquels elle n’aurait pas pensé.
Soit le graffiti suivant, saisi en attendant de monter à bord d’une auto tamponneuse :
Que signifie ce «criss d’ortho» ? Le juron religieux («criss» pour «Christ») ne pose pas de problème. Mais «ortho» ?
Première interprétation : orthographe. Quand on connaît la langue des graffitis, cela paraît pouvoir se défendre. Ce n’est pas ça.
Seconde interprétation, déjà moins plausible : orthodontiste, orthopédiste. N’est-il pas vrai que la santé est un sempiternel débat au Québec ? Ce n’est toujours pas ça.
Deux sources adolescentes — des mâles de 13 et 14 ans, vivant dans des quartiers différents de Montréal — sont formelles : un «criss d’ortho» est un idiot fini.
L’Oreille veut bien, mais quid, alors, de l’étymologie ? D’où cette expression vient-elle ?
À défaut de réponse ferme, une hypothèse. Au Québec, l’orthopédagogue est la «Personne qui travaille auprès des enfants, des adolescents ou des adultes afin de prévenir, de déceler et de corriger leurs troubles d’apprentissage scolaire» (Marie-Éva de Villers, Multidictionnaire de la langue française). Un ortho serait donc celui qu’aiderait l’orthopédagogue; on le supposerait bête.
Vu sa difficulté à comprendre l’expression, l’Oreille ne donne pas cher de sa propre hypothèse.
[Complément du 30 janvier 2014]
Sur Twitter, trois découvertes, grâce à Claude Gohier :
«J’ai entendu l’expression “ortho” utilisée en ce sens au primaire ou au secondaire, dans les années 1980…» (@claudegohier)
Une entrée sur le Wiktionnaire
Une entrée sur le blogue de Mario Asselin
[Complément du 7 octobre 2019]
Il est plusieurs fois question des orthos dans le roman les Manifestations de Patrick Nicol (2019) : «Ophélie enchaîne avec la bande des orthos» (p. 91); «Mais bon, ça prend une activité pour que les orthos dépensent leur énergie» (p. 147); «Une gloire nouvelle auréole les filles. La police est venue, ce qu’elles ont fait était assez grave pour mériter quelques périodes de congé. Même les gars, et même les orthos, les considèrent maintenant avec respect, surtout qu’elles n’ont pas trahi leur secret» (p. 317). On peut imaginer que les «garçons qui ont des diagnostics» (p. 75) en sont aussi.
Références
Nicol, Patrick, les Manifestations. Roman, Montréal, Le Quartanier, «série QR», 135, 2019, 442 p.
Villers, Marie-Éva de, Multidictionnaire de la langue française, Montréal, Québec Amérique, 2009 (cinquième édition), xxvi/1707 p. Édition numérique.
Cette œuvre est sous Licence Creative Commons Internationale Attribution-Pas d'Utilisation Commerciale 4.0.
J’ai eu connaissance de cette insulte il y a plusieurs mois — disons moins de deux ans. Deux sources féminines (autour de 8 et 11 ans à ce moment) m’ont donné une explication qui va exactement dans le sens de votre théorie.
N.B. Dans notre cas, « ortho » était employé sans l’épithète chrétienne.
L’hypothèse est bien bonne. Quand j’étais au primaire (dans les années 1980), « ortho » désignait une personne dangereuse ou dont on considérait le manque de jugement.
J’enseigne aujourd’hui au cégep et je viens de trouver un compte rendu de la pièce « La convivialité » titré ainsi: « Pour une orthographe qui nous rend moins « ortho » ».
Les marges de la langue ont une certaine mémoire, faut croire.
J’ai 23 ans et je suis allé a l’école dans le quartier Saint-Michel à Montréal. On utilisait « ortho » pour désigner une personne de « cave » ou « conne ».
On disait souvent que ça rentrait dans la même catégorie qu’autiste et trisomique. Par exemple : criss t’es bin trizo, criss d’ortho.
Pas très politiquement correct.
Ce n’est pas une expression québécoise quand même. Elle a été utilisée dans « Married… with Children » par Christina Applegate dans les années ’80. Mais je ne sais pas vraiment d’où ça vient.
En français, si, c’est propre au Québec.