L’Oreille tendue a aujourd’hui la mine basse.
Lisant Ils sont fous, ces Québécois ! Chroniques insolites et insolentes d’un Québec méconnu de Géraldine Wœssner (2010), elle tombe sur la citation suivante : «Maudit calvaire, que c’est difficile de travailler dans un milieu de femmes, des fois !» (p. 125-126)
Calvaire est en effet un de ces jurons dont l’Oreille raffole. Elle se tourne donc vers son herbier lexical, histoire de voir quels exemples elle pourrait ajouter à celui-ci. Quelle n’est pas sa surprise devant ce qu’il faut bien appeler un vide.
Ses glossaires connaissent certes le mot. Marie-Pierre Gazaille et Marie-Lou Guévin en donnent plusieurs synonymes, tous euphémisés : «Calvince, calvâsse, calvette, calvinus, calvinisse» (le Parler québécois pour les nuls, p. 214). Léandre Bergeron, en 1980, a «calvaire», «calvâsse» et «calvince !» (p. 108); en 1981, il ajoute «calvinousse» (p. 176).
En revanche, pour ce sacre, les exemples venus de la culture (littérature, chanson, cinéma) paraissent peu nombreux — ou, du moins, ils n’ont guère frappé l’oreille de l’Oreille, ce qui n’est évidemment pas la même chose.
Il est vrai que calvaire est moins riche que d’autres jurons. Il est utilisé comme interjection (Calvaire !), il marque la colère (être en calvaire) et on le retrouve avec de (Calvaire de niochon) ou que (Calvaire que t’es gnochon). On ne connaît toutefois pas d’adverbe (calvairement) ni de verbe (calvairer) fait à partir de calvaire, de même que le préfixe de- ne peut lui être joint (il y a décrisser, mais pas décalvairer).
Est-ce pour cela que ce mal-aimé se ferait moins entendre ?
P.-S. — Une fois ce texte écrit, l’Oreille reçoit ceci, par Twitter : «Ben calvaire : Québec achète “grève étudiante” sur Google cyberpresse.ca/actualites/que… via @lp_lapresse.»
[Complément du 12 octobre 2018]
Il suffisait d’attendre le recueil de poésie Expo habitat (2018) de Marie-Hélène Voyer :
— Batèche de beu maigre !
Pourquoi on habite su’ une ferme ?
Pourquoi on habite
une câliboire
de calvasse
de câlasse
de câlique
de caltor
de ferme ? (p. 64)
Références
Bergeron, Léandre, Dictionnaire de la langue québécoise, Montréal, VLB éditeur, 1980, 574 p.
Bergeron, Léandre, Dictionnaire de la langue québécoise précédé de la Charte de la langue québécoise. Supplément 1981, Montréal, VLB éditeur, 1981, 168 p.
Gazaille, Marie-Pierre et Marie-Lou Guévin, le Parler québécois pour les nuls, Paris, Éditions First, 2009, xiv/221 p. Préface de Yannick Resch.
Voyer, Marie-Hélène, Expo habitat, Chicoutimi, La Peuplade, 2018, 157 p.
Wœssner, Géraldine, Ils sont fous, ces Québécois ! Chroniques insolites et insolentes d’un Québec méconnu, Paris, Éditions du moment, 2010, 295 p.
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Comme exemple musical, je propose « Calvaire » de Plume Latraverse.
L’Oreille y avait pensé, mais le «calvaire» de Plume n’est pas un juron. C’est un substantif : «Quel calvaire calvaire calvaire / Mame Brière me disait ça.»
Exemple cinématographique: Joyeux calvaire, réjouissant (petit) film de Denys Arcand sur l’itinérance http://filmsquebec.over-blog.com/article-26856314.html
et une pièce du même nom des Cowboys fringants
http://www.subquebec.com/paroles/1181/les-cowboys-fringants/break-syndical/joyeux-calvaire.html
Voir, ci-dessus, la réponse de l’Oreille tendue à Ludovic.
Dans le film d’Arcand, les deux sens sont entendus. Les personnages vivent un calvaire (joyeux) ET sont en calvaire.
Parmi les références citées, est-ce que l’une d’entre elles propose un rapprochement entre «calvaire» et «joual vert»? N’y a-t-il pas ici un lien de parenté sonore?