L’Oreille tendue chez les Helvètes

L’Oreille tendue rentre d’un colloque, à Genève, sur Jean-Jacques Rousseau. Ci-dessous, notes dépareillées.

L’ami François Bon est frappé de l’utilisation endémique, en France, de voilà. La Suisse n’est pas moins touchée. (La remarque vaut autant pour pas de souci, opportunité, quelque part et morale citoyenne.)

Le français parlé sur les rives du lac Léman a ses particularités. Les mouettes y sont aquatiques, mais motorisées. Les cornets y sont en plastique. Bien sûr y tient lieu de oui.

Ça a beau être universitaire, mais ça ne sait pas la différence entre mettre à jour (actualiser) et mettre au jour (révéler). Et ça s’attarde à qui mieux mieux, même un instant.

Du groupie en sciences humaines : appeler Jean-Jacques Rousseau «Jean-Jacques». Personne ne dit pourtant «Denis» pour Diderot. Heureusement.

Au restaurant, on ne doit pas confondre le service (ce qui est remis au serveur pour son travail) et le pourboire (ce qui est remis au serveur pour son travail).

Quand, en colloque, l’Oreille entend parler d’«une personnalité remarquable mais trop peu étudiée», elle se dit toujours que ce silence de la critique est probablement justifié.

Mme X est «la future grande tante d’Alfred de Musset» ? Grand bien lui fasse.

Lui : «C’est une jeune femme, 20 ans peut-être.» Un autre : «Une retraitée d’environ 58 ans.» Ils parlent de la même personne. Il y en a un des deux que sa perspicacité honore.

Sur sa tombe, l’Oreille demande que soit gravé ceci : «Dans les colloques, il respectait scrupuleusement son temps de parole. R.I.P.»

Rassurez-la : dites à l’Oreille que ses présentations PowerPoint ne sont pas aussi nulles, car bavardes, que celles-là. Elle vous en implore.

Oxymores à éviter : «la convergence d’horizons antagonistes»; «une neutralité bienveillante».

Entre deux communications, il y a toujours la télé, et les joies de l’Euro(pe) : dans sa chambre d’hôtel, l’Oreille avait le même match de foot sur au moins huit chaînes. C’est pendant Suède-Angleterre qu’elle a découvert l’autogoal, soit le fait de marquer contre son propre camp (scorer dans son but). La télé n’est pas complètement inutile. (Le but suivant, comme il se doit, était «incroyable».)

«Vous tenez un blogue ? Vraiment ?» «Vous utilisez Twitter ? Pourquoi ?» L’avenir du numérique ne passe pas par le Siècle des lumières.

Les interlocuteurs de l’Oreille avaient presque tous suivi le «printemps érable» dans les médias européens, sans y comprendre grand-chose. Manifestement, ces derniers n’ont guère fait leur travail.

Les voyages, particulièrement en avion, ne font pas ressortir ce que l’humanité a de meilleur. (L’Oreille ne s’exclut pas de l’humanité.)

Du temps où il y descendait (Hergé, l’Affaire Tournesol, p. 17-19), Tryphon Tournesol devait-il parler anglais pour se faire comprendre des employés de l’Hôtel Cornavin, dont certains baragouinent à peine le français ?

Quoi qu’on puisse en penser, l’Oreille est casanière. Elle n’aime pas trop être dépaysée. La preuve.

P.-S. — Dans le même ordre d’idées, l’Oreille a déjà publié quelques «Scènes de la vie de colloque» (en PDF ici).

 

Référence

Melançon, Benoît, «Scènes de la vie de colloque (extraits)», le Pied (journal de l’Association des étudiants du Département des littérature de langue française de l’Université de Montréal), 4, 29 février 2008, p. 12-13. Repris dans la Vie et l’œuvre du professeur P. Sotie, Montréal, À l’enseigne de l’Oreille tendue, 2022, p. 43-48. https://doi.org/1866/13167

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9 réponses sur “L’Oreille tendue chez les Helvètes”

  1. « voilà » continue ses dégâts, mais tu as dû remarquer le surgissement du petit nouveau : « d’accord » lourd de toutes les strates de ce qu’on en pense, même quand on en pense pas grand chose…

    un de ces jours ils vont se pogner, voilà et d’accord, y aura du spectacle

    après, t’es un fieffé menteur : plein de fois que je suis allé à Genève, moi, et jamais jamais jamais j’ai vu une affiche de hockey !

  2. Ah! là, vous me faites plaisir, chère Oreille: « Ça a beau être universitaire, mais ça ne sait pas la différence entre «mettre à jour» («actualiser») et «mettre au jour» («révéler») »
    Combien de fois ai-je corrigé ça, et pas juste dans les copies? (sous-entendu, dans les articles des… universitaires)?
    La plupart des gens « mettent à jour » même quand ils révèlent et je me demande comment ils font.

  3. Oh moi aussi, chère Oreille, vous me faites plaisir « entend parler d’«une personnalité remarquable mais trop peu étudiée», elle se dit toujours que ce silence de la critique est probablement justifié » Je me dis tout pareil de nombre compositeurs, auteurs et cinéastes.

    Et vous charriez un peu en écrivant que « L’avenir du numérique ne passe pas par le Siècle des lumières. » alors qu’en votre compagnie, sur twitter, nous nous retrouvons une belle trâlée de dix-huitièmistes (souvent défroqués, il est vrai).

    1. «Trâlée» ? Selon le Petit Robert, le mot signifie «Grande quantité, longue file, longue suite» (édition numérique de 2010). L’Oreille tendue aimerait que ce soit le cas pour les dix-huitiémistes, défroqués ou pas, mais, malheureusement, elle en doute.

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