Ça la fout mal

Olivier Talon et Gilles Vervisch, le Dico des mots qui n’existent pas et qu’on utilise quand même, 2013, couverture

L’Oreille tendue est volontiers donneuse de leçons (linguistiques); c’est là son moindre défaut. Elle a d’ailleurs créé une catégorie «Grogne du pion» où classer ses obsessions, bien ou mal fondées. Elle s’expose par là à se faire corriger par ses bénéficiaires; c’est la règle du jeu.

C’est à cela qu’elle pensait tout au long de sa lecture du Dico des mots qui n’existent pas et qu’on utilise quand même (2013). Ses auteurs, Olivier Talon et Gilles Vervisch, glanent les mots dont raffolent les médias, mais que ne connaît pas le Petit Robert (c’est leur ouvrage de référence). Ils puisent dans la langue de la politique («berlusconisation», «sarkhollandisation»), du sport («zlataner»), de l’informatique («défacebooker (se)»), de la gestion («consultance»), du spectacle («bankable»), de la mode et des cosmétiques («volumiser»), surtout en France, mais aussi ailleurs dans la francophonie. Ils n’aiment guère les anglicismes et les «scories anglophiles» (p. 157 et p. 283) : «chacun sa langue, et les moutons seront bien gardés» (p. 114). Pour eux, par exemple, «délivrable» est une «abjection vocabulistique» (p. 94). Comme il se doit — c’est la règle du jeu —, ils ont l’anathème facile, bien qu’ils soient prêts à reconnaître l’utilité de quelques néologismes («chronophage», «procrastiner», «technophobie»). Leur souhait ? Qu’on parle «correctement» (p. 145), qu’on corrige «le langage des parle-petit» (p. 245).

Malheureusement, leur livre contient pas mal de fautes, on y trouve des usages critiqués, la ponctuation y est approximative, etc.

L’Oreille est assez fortement convaincue qu’un dictionnaire ne peut pas se vouloir (p. 9) et que la formule comme étant ne sert à rien (p. 28 et p. 76). Soi-disant ne peut pas se dire d’un inanimé (p. 17, p. 201 et p. 247). Sept fois «donc» en soixante lignes (p. 43-45), c’est beaucoup. Il y a «Seconde guerre mondiale» (p. 52) et «Seconde Guerre mondiale» (p. 54); ça fait désordre. Page 138, la même expression revient deux fois, une fois fautivement («L’apparition d’Internet et des réseaux sociaux ont ainsi conduit»), une fois non («L’apparition combinée d’Internet et de la téléréalité a conduit»); on pourrait profiter de cette occasion pour citer, en l’adaptant, certaine parenthèse de la page 178 («On observera la belle faute de conjugaison à la troisième personne du pluriel […]»). Il est ennuyeux de ne pas aimer les anglicismes et d’employer «magnets» au lieu d’«aimants» ou d’«aimantins» (p. 143), ou encore «smartphone». Les «mémoires» de l’organiste Louis Vierne n’ont pas été «publiées par l’Association des amis de l’orgue» (p. 149 n. 1); ses «Mémoires» ont été «publiés» par cette association (désignant une pratique autobiographique, le mot Mémoires est masculin et demande la majuscule).

L’arroseur arrosé, en quelque sorte. L’Oreille connaît.

P.-S. — On ne peut pas toujours pinailler : il faut saluer l’oreille d’Olivier Talon et Gilles Vervisch quand ils corrigent la définition de pipolisation dans le Petit Robert de 2013 (p. 203-207). Également à signaler : «beuguer» (p. 40-41), «facilitateur» (p. 108-109), «pécunier» (p. 193-194), «redensifier» (p. 228), «réseautage» (p. 234-235).

 

Référence

Talon, Olivier et Gilles Vervisch, le Dico des mots qui n’existent pas et qu’on utilise quand même, Paris, Express Roularta Éditions, 2013, 287 p.

CC BY-NC 4.0 Cette œuvre est sous Licence Creative Commons Internationale Attribution-Pas d'Utilisation Commerciale 4.0.

4 réponses sur “Ça la fout mal”

  1. Bonjour, et merci pour cette lecture critique dont nous tirerons sans nul doute profit, occupés que nous sommes à travailler sur une réédition augmentée de cet ouvrage (et aussi légèrement diminuée, certains de « nos » mots s’étant attirés les bonnes grâces du Robert depuis peu).
    La preuve est faite, mais était-ce nécessaire, que les relectures croisées de deux co-auteurs, d’une correctrice et d’une éditrice ne peuvent malheureusement pas garantir une absolue absence d’erreurs.

    Chaque pinailleur à ses marottes, et j’aurais pour ma part tendance à estimer que vos combats contre « se vouloir » (que le Robert applique dans ses exemples à une analyse, qui n’est sans doute pas un sujet animé) et « comme étant » sont un peu extrémistes, et, bien que je les respecte, j’espère que vous m’excuserez de ne pas m’y ranger à vos côtés.

    Je préciserai également que la question n’est pas pour nous de ne pas aimer de manière générale les anglicismes, mais de refuser le plus possible l’emploi de termes anglais qui n’apportent strictement rien en termes de sens là où l’équivalent français est déjà bien implanté et compris de tous. Ainsi, le terme « magnet » apporte en français une précision décorative au simple « aimant », que « l’aimantin » apporterait peut-être également s’il existait réellement suffisamment de gens pour connaître sa signification et l’employer fréquemment. Ce n’est pas mon cas, et je n’en trouve guère trace dans le Robert. Quant au smartphone, une périphrase de type « téléphone portable multifonctions de dernière génération » serait assez lourde, et le terme recommandé « ordiphone » me semble assez peu répandu pour qu’on évite de lui consacrer un combat perdu d’avance.

    Pour le reste, vous avez bien raison, et je vous remercie derechef pour ces commentaires qui nous aideront à améliorer la prochaine édition de notre dictionnaire.

    Olivier Talon

    1. Merci de cette réponse nuancée aux remarques de l’Oreille tendue.

      Ses positions sur se vouloir et sur comme étant ne lui paraissent pas «extrémistes», mais elle ne se fait pas d’illusion pour autant : l’utilisation de ces expressions n’ira pas en diminuant. C’est comme ça.

      Aimantin se trouve dans l’édition numérique du Petit Robert 2014. Le mot est manifestement rare et il n’est pas du tout sûr qu’il passe dans l’usage (même si c’est une «recommandation officielle»). Cela étant, la «valeur ajoutée» («décorative») de magnet par rapport à aimant n’est guère évidente aux yeux de l’Oreille.

      Smartphone est un cas compliqué. Ordiphone n’est guère utilisé. Téléphone portable multifonctions de dernière génération est trop long. Certains recommandent simplement téléphone multifonctions. Pour d’autres, téléphone intelligent ferait l’affaire. (Un téléphone ne peut pas être intelligent, répondraient ses détracteurs.) L’Oreille ne saurait trancher, mais elle se refusera toujours, en français, à parler de smartphone. À chacun, en effet, ses «combats perdus d’avance».

      Merci encore.

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