(Accouplements : une rubrique où l’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux textes d’horizons éloignés.)
En 1991, Bernard Pozier fait paraître le recueil de poèmes Les poètes chanteront ce but. Le titre est une citation du journaliste radiophonique Michel Normandin. Il aurait dit cette phrase au moment où Maurice Richard — c’est du hockey — marquait un but contre Harry Lumley, des Red Wings de Detroit, le gros (90 kilos) défenseur Earl Seibert accroché après lui. Selon toute vraisemblance, c’était le 3 février 1945, en troisième période, dans une victoire des Canadiens par la marque de 5 à 2, au Forum de Montréal.
Le lendemain soir, Gratien Gélinas inaugure sa revue intitulée Fridolinons 45. Dans un de ses sketchs, «Le bal des facteurs», un personnage invite une jeune femme, Bertha, à un match des Canadiens. On entend la réponse de celle-ci au téléphone.
«Allô !… Elle-même… Tiens ! comment ça va, Tit-Georges ? Pas mal… Pis toi ?… Dépêche-toi, je suis pressée… Ah ! non, c’est ben de valeur puis t’es ben aimable, mais pas de hockey au Forum pour moi à soir ! Maurice Richard, my eye !… C’est moi qui “score” tantôt : je vas au Bal des Facteurs, si tu veux le savoir. Pis, aie ! je me suis mis sur mon trente-six : tu devrais me voir à soir, je te dis que tu m’aimerais !… Ça serait pas difficile ?… Farceur, va ! En tout cas, sans rancune, Tit-Georges…» (éd. de 1980, p. 82)
Et si l’invitation datait de la veille ? Bertha aurait raté un des buts les plus légendaires de celui que l’on surnomme «Le Rocket».
Tout cela se passait en deux jours, il y a pile-poil 70 ans.
P.-S. — Oui, bien sûr, il y a une connotation sexuelle à la déclaration de Berthe (l’Oreille tendue en glisse un mot ici).
[Complément du 29 août 2016]
D’autres francophones que les Québécois diraient trente et un plutôt que trente-six.
[Complément du 25 novembre 2016]
Lipogramme en e oblige, dans la Disparition (1969), de Georges Perec, il est plutôt question d’être «sur son vingt-huit plus trois».
Illustration : Henri Paul, photo de Gratien Gélinas, 1938, déposée sur Wikimedia Commons
Références
Gélinas, Gratien, les Fridolinades 1945 et 1946, Montréal, Quinze, 1980, 265 p. Ill. Présentation par Laurent Mailhot. Réédition : les Fridolinades, Montréal, Typo, 2014. Anthologie préparée par Anne-Marie Sicotte.
Perec, Georges, la Disparition. Roman, Paris, Denoël, 1984, 311 p. Édition originale : 1969.
Pozier, Bernard, Les poètes chanteront ce but, Trois-Rivières, Écrits des Forges, coll. «Radar», 60, 1991, 84 p. Ill. Réédition : Trois-Rivières, Écrits des Forges, 2004, 102 p.
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