Divergences transatlantiques 026

Soit le tweet suivant, de @Lazaret1981 : «@franceculture Merci pour l’invite faite à JC #Michéa, enfin quelqu’un d’épais intellectuellement pour la #gauche.» Être «épais intellectuellement» a donc une valeur positive.

Ce n’est pas du tout le cas au Québec. On peut y être épais (l’adjectif) ou un épais (le substantif) et ce n’est positif ni dans un cas ni dans l’autre : personne n’aime se faire dire qu’il est bête.

Exemples : «Pourquoi es-tu si épaisse ?» (Hockey de rue, p. 56); «J’étais tellement épais, parfois» (Hockey de rue, p. 103).

Dans le glossaire de son livre Un Québec si lointain (2009), Richard Dubois propose une longue et utile définition d’un des types de l’épais :

Comme le suggère le terme, quelqu’un qualifié d’«épais» n’est ni mince ni fin ni quoi que ce soit faisant penser à un mille-feuilles. Un «épais», c’est un mal dégrossi, un rustre, un ours, mais on ne parle pas ici que de manières. Il existe même des épais très civils, polis, sachant vivre et tout et tout, mais qui au niveau de la tournure d’esprit, portant sur tout des conclusions simples, rapides, terminales, font preuve d’une ignorance à vrai dire… foudroyante. Pire que l’ignorance, une certaine joie de l’ignorance, perçue par l’épais comme normale, très répandue, donc normale… L’épais ne doute de rien, jamais, et parle sur le ton de l’évidence («ben wèyons…»). Puisant à pleines mains dans la «sagesse populaire», et notamment les proverbes, il est bardé de certitudes. «L’épais» trouve beaucoup de monde «épais». Les autres, ceux d’en haut, car il reconnaît que l’on peut avoir un intellect plus développé que le sien, il s’en fout («pas le temps de m’occuper de ces niaiseries-là»), il n’irait pas jusqu’à parler des «intellectuels», il y a là trop de syllabes, il préfère, pour tous ceux qui s’imaginent le dépasser, le terme de «frais-chié» (p. 208-209).

Remarques

On voit parfois être épais dans le plus mince. Ce n’est pas mieux, bien au contraire.

Il va de soi que l’épais n’est ni un gnochon / niochon ni un nono.

 

[Complément du 26 janvier 2018]

Autre exemple, lui aussi venu de Twitter :

 

Références

Dubois, Richard, Un Québec si lointain. Histoire d’un désamour, Montréal, Fides, 2009, 213 p.

Skuy, David, Hockey de rue, Montréal, Hurtubise, 2012, 232 p. Traduction de Laurent Chabin. Édition originale : 2011.

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2 réponses sur “Divergences transatlantiques 026”

  1. La vraie origine du terme epais vient du test de la clarte nucale pour le depistage de la trisomie 21 . Plus l epaisseur est grande et plus le risque de trisomie est elevee. Quand on dit que quelqu un est vraiment epais, on fait reference a une attitude trisomique .

    1. Bonjour,

      C’est une idée intéressante, mais le terme me semble plus ancien. Pour l’attester il faudrait une recherche dans les textes littéraires et journalistiques. Un point de départ: http://www.bdlp.org/fiche.asp?no=306&base=QU&boite=1 (http://www.bdlp.org/recherche.asp_).

      Les techniques de diagnostic pré-natal par échographie ne commencent à se répandre vraiment que dans les années 1970 (voir: https://www.cairn.info/revue-spirale-2013-2-page-143.htm et https://www.erudit.org/en/journals/ateliers/2007-v2-n2-ateliers03573/1044647ar.pdf). Le terme «épais» dont il est question était en usage avant, non?
      Je crois qu’il faut chercher une association avec l’apparence physique , «avoir les traits épais» étant souvent (et à tort) associé à une lourdeur de l’esprit. Aussi, j’ai déjà vu dans des romans français d’il y a plusieurs décennies l’expression «avoir le crâne épais». On doit comprendre que dans cette tête il y a bien de l’os et donc peu de place pour la cervelle.

      Avec mes meilleures salutations.

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