À cheval avec Mathieu Bock-Côté et Mononc’ Serge

«Le franglais, c’est full overrated», Nicolas Guay, Twitter, 14 juillet 2014

Si vous êtes ici, c’est que vous le savez : l’Oreille tendue s’intéresse aux questions de langue au Québec. Il lui arrive, à l’occasion, de donner des entrevues, de faire des conférences, d’intervenir dans des cours, d’écrire des articles — bref, de pontifier sur l’état de la langue au Québec.

Parmi les questions qu’on lui pose alors, deux reviennent sans cesse, qui l’embêtent dans les grandes largeurs.

La première est celle du joual. (Note pour les non-initiés : le mot joual est une déformation de la prononciation du mot cheval et il désignerait un état particulier de la langue française parlée au Québec, état dégradé et, de ce fait, soumis à l’opprobre.) Quand on l’interroge là-dessus, l’Oreille répond toujours la même chose : le joual — si tant est qu’une telle chose existe — n’a d’intérêt qu’archéologique; cela renvoie aux querelles linguistiques des années 1960, 1970, peut-être 1980. Il ne reste aujourd’hui, à se poser des questions sur le joual, pensait l’Oreille, que les journalistes français, Diane Lamonde (1998, 2004) et Mononc’ Serge. Pour les premiers, on la croira sur parole. Pour le dernier, auteur-compositeur-interprète de son état, un exemple, tiré d’une entrevue accordée au quotidien la Presse, devrait suffire :

Je suis ambivalent. J’aime le joual. On peut crier à l’impureté, mais c’est quand même une langue ancrée dans une réalité, qui a sa beauté, et qui ne se substitue pas au français («C’est beau, le joual», 10 décembre 2011, cahier Arts, p. 8).

Le joual serait donc une langue différente du français. C’est Octave Crémazie, ce poète du XIXe siècle qui déplorait l’absence d’une langue nationale, qui serait content d’apprendre que les Québécois — il aurait dit : les Canadiens — ont, enfin, une langue à eux.

La seconde question à embêter l’Oreille est celle du niveau du français au Québec. On ne sait pas très bien ce qu’il est, mais une chose serait sûre : il baisserait. Cette affirmation pose toutes sortes de problèmes.

Un problème historique. Jean-Marie Klinkenberg l’a spitamment démontré dans «Le français : une langue en crise ?» (1992) : on prétend que le niveau du français baisse, en France et en Belgique, depuis… la fin du XVIIe siècle. Si c’était vrai, personne ne devrait plus être capable de comprendre un texte de cette époque, et notamment le texte dans lequel il est dit que le niveau baisse. Or ce n’est évidemment pas le cas.

Un problème de démonstration linguistique. S’il était vrai que la maîtrise de la langue va en s’amenuisant de génération en génération, ce devrait pouvoir être démontré, exemples et statistiques à l’appui. Pourtant, personne ne peut faire cette démonstration, cela pour une raison fort simple : pour comparer un état historique de langue avec un autre, il faut des données comparables, et ces données, pour l’essentiel, n’existent guère, du moins pour le Québec. Quand elles existent — ce qui est rare, et uniquement pour la période la plus récente —, elles tendent même à démontrer que le niveau… monte. Ce sont, par exemple, les conclusions auxquelles arrivent Pascale Lefrançois et Marie-Éva de Villers dans une étude récente (2013) sur la connaissance du lexique standard d’élèves québécois de troisième secondaire. Pareilles enquêtes ont moins de poids médiatique que les coups de gueule de tel ou tel omnicommentateur parfaitement informé par son nombril. Une chose est sûre : si vous affirmez que le niveau baisse, c’est à vous de le prouver de façon sérieuse.

Un problème de responsabilité personnelle, enfin. Imaginons, pour un instant, que le niveau baisse. De qui serait-ce la faute ? Les médias ne cessent de claironner leur réponse : c’est la faute à l’école. Malheureusement, les choses ne sont pas aussi simples. On n’apprend pas sa langue qu’à l’école; on l’apprend aussi à la maison. Sur ce plan, l’Oreille avoue son étonnement quand elle entend des parents québécois se plaindre de la faiblesse linguistique supposée de leur progéniture. Ce faisant, ces parents ne sont-ils pas en train de reconnaître leur propre responsabilité ? De deux choses l’une. Ou les parents sont capables d’assurer la formation linguistique de leurs enfants et ils ne le font pas — si le niveau baisse, c’est de leur faute. Ou les parents ne sont pas capables d’assurer cette formation, ce qui serait la preuve que le niveau ne baisse pas — il aurait toujours été faible et ces parents n’auraient pas pris les moyens de corriger la situation pour eux-mêmes.

Revenons, pour conclure, au discours de la déchéance linguistique québécoise. Il peut prendre la forme d’une déploration sur la montée du franglais (quoi que soit le franglais), voire de son triomphe. Mathieu Bock-Côté, dans cette prose hypervitaminée qui n’est qu’à lui, en donnait un exemple sur son blogue le 13 juillet 2014, sous le titre «Le franglais : le raffinement des colonisés» :

Ce joual guindé [le franglais, ce «dialecte»] trouve évidemment ses défenseurs. On nous chante la liberté créatrice des artistes, en oubliant que la création artistique n’est pas strictement individuelle. Elle s’alimente d’une culture, et elle l’alimente en retour. Mais c’est le point d’aboutissement d’un individualisme extrême qui frise l’autisme culturel : on invente finalement sa propre langue comme si chacun pouvait accoucher d’un idiome à usage personnel.

Le verdict de Bock-Côté, qui parle d’«aliénation», de «déculturation», de «créolisation» et d’«anglicisation», est sans appel : «En dernière instance, le franglais ne serait-il pas la vraie langue des Québécois ?»

Sur le même joual, Mathieu Bock-Côté et Mononc’ Serge. Voilà qui est piquant.

P.-S. — Peut-on amalgamer, comme le fait le blogueur, une pratique artistique (celle des Dead Obies) et celle de la population francomontréalaise dans son ensemble ? Non.

P.-P.-S. — En 1988, Stéphane Sarkany disait du joual que c’était un framéricain. Plus ça change…

P.-P.-P.-S. — Au moment d’aller sous presse, en quelque sorte, l’Oreille découvre un nouveau texte de Mathieu Bock-Côté sur le même sujet et dans la même perspective : «triste sabir», «joual de garage», «franglais branché», «dégradation», «langue massacrée». Plus ça change…

 

Références

Klinkenberg, Jean-Marie, «Le français : une langue en crise», dans le Français en débat, Bruxelles, Communauté française, Service de la langue française, coll. «Français et société», 4, 1992, p. 24-45. Repris dans Études françaises, 29, 1, printemps 1993, p. 171-190 et dans Jean-Marie Klinkenberg, la Langue et le citoyen. Pour une autre politique de la langue française, Paris, Presses universitaires de France, coll. «La politique éclatée», 2001, 196 p., p. 98-122.

Lamonde, Diane, le Maquignon et son joual. L’aménagement du français québécois, Montréal, Liber, 1998, 216 p. Préface de Jean Larose.

Lamonde, Diane, Anatomie d’un joual de parade. Le bon français d’ici par l’exemple, Montréal, Éditions Varia, coll. «Essais et polémiques», 2004, 293 p.

Lefrançois, Pascale et Marie-Éva de Villers, «Un portrait qualitatif des connaissances lexicales des jeunes Québécois francophones», dans C. Garcia-Debanc, C. Masseron et C. Ronveaux (édit.), Enseigner le lexique, Namur, Presses universitaires de Namur, 2013, p. 231-250.

Sarkany, Stéphane, «Le modèle d’inscription du “framéricain” chez Michel Tremblay», Présence francophone, 32, 1988, p. 21-31.

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9 réponses sur “À cheval avec Mathieu Bock-Côté et Mononc’ Serge”

  1. M. Mélançon,
    Un ami me transmet vos chroniques à l’occasion et je les lis toujours avec beaucoup de plaisir et d’intérêt.
    Pour permettre de comprendre mon commentaire de ce matin, je dois vous dire que j’ai été longtemps traducteur juridique pour l’ONU et d’autres organisations internationales et tribunaux internationaux. Jusqu’à récemment j’étais le seul Canadien à avoir jamais réussi le concours de traducteurs-rédacteurs français de l’ONU (j’ai été premier sur plus de 4000 candidats). Je ne mentionne pas cela par vantardise: je m’étonne et je regrette que les services de communication et de traduction des organisations internationales (plus de 120) (surtout celles du système de l’ONU) refusent systématiquement d’embaucher des traducteurs du Québec (du Canada comme ils disent). On peut compter sur les doigts d’une seule main les quelques exceptions (aucune à l’ONU) qu’il y a eues en plus de 60 ans.
    Pourquoi en est-il ainsi alors que, fait exceptionnel, nous travaillons dans les deux langues de travail de l’ONU, que nous avons une expertise certaine en traduction dans ces langues et que, contrairement aux traducteurs de l’ONU, nous avons pour la plupart une formation en traduction?
    Pourquoi, par ailleurs, à l’exception de Jean-Claude Corbeil, ne sommes-nous pas représentés dans les organes internationaux consacrés au français?
    Pourquoi le gouvernement québécois ne fait-il rien pour revendiquer une place pour ses traducteurs et rédacteurs francophones par le biais de la Francophonie? On ne parlera pas du gouvernement du Canada qui, non seulement ne fait rien, mais fait ouvertement campagne contre les Québécois dans ces organisations sous prétexte qu’ils ne parlent que le « slang québécois » (dixit un ambassadeur canadien unilingue anglophone) ou « le langage des colonies » (dixit le porte-parole du Secrétaire général).
    À mon avis, c’est d’abord et avant tout un problème de perception de la part de certains Français, d’image présentée par les Québécois et d’absence de revendication de la part des Québécois.
    Par ailleurs, je voudrais ajouter un mot au sujet de ce que vous dites de l’école quand vous renvoyez la balle aux parents. Certains parents ne peuvent pas faire autrement que de s’en remettre à l’école, et ce n’est pas parce que les parents ne peuvent pas assumer le rôle que vous leur attribuez que l’école doit être déchargée de ses responsabilités. Pour donner un exemple, je m’occupe d’une filleule dont les parents, intelligents et pleins de bonne volonté, sont terriblement handicapés parce qu’ils sont tous les deux de « parfaits bilingues », c’est-à-dire qu’ils parlent très mal anglais et très mal français; vocabulaire limité dans les deux langues et structure hybride et incompréhensible dans l’expression. Ils ne peuvent faire autrement que de s’en remettre à l’école pour que leur fille apprenne un français correct puis un anglais correct. Or j’ai eu beaucoup de problèmes avec la direction de l’école (très grosse et très importante) parce qu’on nous envoie de l’information tellement mal écrite que le message est INCOMPRÉHENSIBLE et que bien sûr les auteurs s’offusquent lorsqu’on leur demande ce qu’ils veulent dire. Il est clair qu’on ne peut pas compter sur eux pour donner une formation minimale en français. C’est dire que je ne suis pas d’accord avec vous à ce sujet; je crois que nous devons exiger que les professeurs parlent et écrivent un français correct, que ce soit une condition minimale d’embauche. En ce domaine comme dans bien d’autres, les Québécois sont hélas! beaucoup trop complaisants; le Québec est devenu le pays de la complaisance (et de l’insignifiance au sens littéral?); c’est la valeur absolue et probablement unique. C’est malheureux.
    Maintenant rajoutez à cela ces rappeurs qui font l’apologie de l’ignorance et les journalistes qui les encensent et les résultats sont suicidaires comme le dit fort justement ce matin Christian Rioux.

    André Sirois

    1. L’Oreille tendue n’a jamais dit que l’école devait «être déchargée de ses responsabilités» en matière de langue. (Sur cette question, elle vous invite à consulter la rubrique École & université du blogue.) Elle a parlé de responsabilité partagée.
      Vous écrivez : «C’est dire que je ne suis pas d’accord avec vous à ce sujet; je crois que nous devons exiger que les professeurs parlent et écrivent un français correct, que ce soit une condition minimale d’embauche.» L’Oreille n’a jamais dit autre chose : c’est un dossier qu’elle défend dans son université.
      Une dernière chose : aux yeux de l’Oreille, les Dead Obies ne représentent qu’eux-mêmes. Les ériger en symbole de la réalité linguistique montréalaise, comme le font Mathieu Bock-Côté et Christian Rioux, semble bien peu convaincant.

      1. Vous dites: « Une dernière chose : à mes yeux, les Dead Obies ne représentent qu’eux-mêmes. Les ériger en symbole de la réalité linguistique montréalaise, comme le font Mathieu Bock-Côté et Christian Rioux, me semble bien peu convaincant. »
        Permettez-moi de ne pas être d’accord. C’est justement les Dead Obies ou leurs prédécesseurs que l’on entend en arrivant à Montréal et qui choquent tellement. Et c’est cette perception qui fait bannir les Québécois francophones de tous les services de communications et de traduction des organisations internationales et des organismes internationaux de régulation du français. Hélas! on ne voit et on n’entend que ce type de langue et le résultat c’est qu’on ne nous reconnaît plus comme francophones. Les tristes conséquences sont là.
        André Sirois

  2. Donc, le franglais n’est qu’une pratique artistique sans résonance sociologique, si je comprends bien ? Idem de « Charlotte before Christ », le roman du jeune Alexandre Soublière, publié chez Boréal ? Pas besoin de s’improviser démagogue catastrophiste pour reconnaître que le franglais fait « branché » auprès de la jeunesse montréalaise, il suffit de tendre l’oreille. Données ou pas sur la montée ou la baisse de niveau, à un moment donné, la correction académique a ses limites et le réel a ses droits.

    Il est possible d’observer ce qui se passe autour de soi et en tirer des conclusions (certes pas définitives, mais des conclusions crédibles), sans que notre vision se réduise pour autant à un prétendu « coup de gueule » ou à un crime de lèse-science. Le singulier n’a pas à s’écraser devant le général, la pratique devant la théorie abstraite. La connaissance part aussi d’une intuition subjective. Si seule l’expertise des savants a valeur de connaissance, ce ne sont pas seulement les chroniqueurs et les journalistes, mais aussi les écrivains et les artistes, qui devraient renoncer à exercer leur subjectivité et se taire sous les appels à l’autorité savante.

    Pour terminer, je ne vois pas ce qu’il y a d’hypervitaminé (façon pour les universitaires de dire de quelqu’un qu’il est hystérique sans paraître eux-mêmes hystériques) dans la prose de Mathieu Bock-Côté. Elle est précise et fluide, bien que parfois imparfaite, ce qui est bien normal, vu la fréquence de publication à laquelle il est soumis en tant que chroniqueur (merci de faire preuve d’un peu de bonne foi). Vous amalgamez dans un adjectif son débit parlé rapide à son style écrit, pour mieux disqualifier ce qu’il écrit et pense. C’est regrettable.

  3. -ing et news

    Monde est mardi-gras, casting,
    Roi et empereur des plum-puddings.
    Veau, mouton, poulet, brainstorming,
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    Dé, ancre, bréchet, livre mais sterling,
    Un ensemble cousu-main, au feeling.

    Trapézistes, acrobates, looping,
    Quelque chose ding ding ding
    God save or bless the shopping
    Propre et neuf d’après-pressing.
    Monde fut lumière ! Building,
    Pile ou face, secouez, Coué, lifting.

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    Des bachi-bouzouks en string
    Sautent dans des bâches bashing
    Droit au cimetière depuis le parking.
    Bing! Allô ! Qui ? Quel camping ?
    Histoire belge made in Beijing.

    Les divins marquis du marketing
    Au cerveau en neige, cocooning,
    Le dynamisent à coups de timing.
    Grues-mots dégueu jetés sur ring
    Où fourbir des concepts à la Dühring
    Solubles au contact du planning.

    Sortant vêtus de noirs smokings
    L’œil brillant laqué persil piercing
    Au menton beurre-orange warning
    Dindes, dindons tiennent meeting :
    Au front ! Au feu ! Et débriefing.
    Ça sent Soir-grand de Thanksgiving.

    Esprit qui est, et body et building,
    En paix, sur deux étriers, baby-sitting,
    Après footing offre séances de shooting.,
    Veau mouton poulet mondial pudding
    Quelque cloche intranquille ding ding
    Zapping dumping, il est crucial of being

    Or not ingenious

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