Dans le plus récent roman de Jacques Poulin, l’Homme de la Saskatchewan (2011), Jack Waterman — c’est un nom de plume — est engagé comme nègre pour écrire l’autobiographie d’un jeune gardien de but métis, Isidore Dumont, né à Batoche en Saskatchewan, descendant de Gabriel Dumont («le Che Guevara de la Saskatchewan», p. 63), qui joue encore dans la Ligue américaine en attendant de passer dans la Ligue nationale de hockey. Trop occupé, Jack confie ce contrat à son jeune frère, Francis, qui est «lecteur public» (p. 23) ou «lecteur professionnel» (p. 118) de son état. Francis sera aidé par la Grande Sauterelle, elle-même métis, mais du Québec.
À la suite d’une orchidectomie, ce «petit frère» s’est fait installer un «stimulateur» (p. 16), aux fins que l’on imagine; pour mettre en marche cette «prothèse spéciale» (p. 65), il se récite ses lectures érotiques familières, «une demi-douzaine de passages» appris par cœur (p. 16). Sur une échelle de l’érection de 1 à 5, Anne Hébert (Kamouraska) vaut «un numéro 4» (p. 17), Saint-John Perse (Amers) «un numéro 5» (p. 42-43), Alain Grandbois (Lettres à Lucienne) «un numéro 5», mais qui avait commencé en «numéro 3» (p. 77-78).
Au moment de faire l’amour avec la Grande Sauterelle, Francis hésitera entre, d’une part, Grandbois et Saint-John Perse, déjà éprouvés, et, d’autre part, Hubert Aquin et Hemingway, «à cause de la vigueur de son style» (p. 114). Ça ne sera finalement pas nécessaire :
La marée de plaisir était si puissante que, contrairement au pronostic du spécialiste qui m’avait enlevé la noisette du côté droit, je constatai tout à coup, sans m’être concentré sur le texte de monsieur Hemingway, que j’avais quelque chose qui ne pouvait être qu’un numéro 5. Et voilà que ce numéro 5, tout naturellement, se glissait dans l’intimité de la Grande Sauterelle (p. 117).
Jean M. Goulemot l’avait déjà démontré en 1991 dans une brillante étude, Ces livres qu’on ne lit que d’une main : la lecture mène à tout.
Références
Goulemot, Jean M., Ces livres qu’on ne lit que d’une main. Lecture et lecteurs de livres pornographiques au XVIIIe siècle, Paris, Minerve, 1994 (deuxième édition revue, augmentée et corrigée), 182 p. Ill.
Poulin, Jacques, l’Homme de la Saskatchewan. Roman, Montréal et Arles, Leméac et Actes Sud, 2011, 120 p. Ill.
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