Le dilemme de l’autobus

François Blais, la Nuit des morts-vivants, 2011, couverture

Parmi les plus graves problèmes québécois, il y a le genre du mot autobus.

Les dictionnaires sont pourtant formels : autobus est masculin.

Dans la vie de tous les jours, on entend fréquemment une autobus. L’Oreille tendue a déjà proposé une hypothèse à ce sujet, qui a entraîné quelques réactions de lecteurs (c’est ici).

Si l’on en croit le François Blais de la Nuit des morts-vivants (2011), il y aurait même des endroits au Québec, en l’occurrence en Mauricie, où l’on dirait «une bus» : «jusqu’en troisième année on est obligé de prendre la bus» (p. 39); «Grouille, tu vas rater la bus de sept heures et vingt» (p. 47); «attendre la bus de 7 h 35» (p. 67). On notera que c’est la même chose au style indirect libre (premier exemple), dans les dialogues (deuxième) et chez le narrateur (troisième).

Cette bizarre féminisation — que l’Oreille tendue n’a jamais entendue, ce qui vaut ce que ça vaut — avait (pourtant) déjà été repérée par Wim Remysen en 2003 :

L’originalité de la variété québécoise au niveau morphologique se situe surtout au niveau du genre et du nombre de certaines unités lexicales. Ainsi, il est fréquent au Québec qu’on parle d’une autobus, d’un affaire et d’un heure. […] Il faut noter toutefois que ces traits ne sont pas toujours généralisés dans la variété québécoise : ainsi, parler de la bus est typique des situations de communication informelles et du parler populaire (p. 33).

Cela ne règle pas le mystère pour autant : d’où cela vient-il ?

P.-S. — On se souviendra qu’à Québec, pour simplifier encore les choses, on a essayé de faire de bus un verbe.

 

[Complément du 20 mai 2014]

Autre exemple littéraire, du Saguenay, tiré de la Déesse des mouches à feu de Geneviève Pettersen (2014) : «Ma mère voulait jamais venir me porter chez Pascal, ça fait que j’y allais en bus de ville. Fallait que je prenne la bus pis que je transfère dans une autre rendue au terminus de la rue Racine» (p. 46).

 

[Complément du 13 novembre 2014]

Dans la Presse+ d’hier, la chroniqueur Patrick Lagacé, s’agissant d’autobus, écrit ceci : «La 25A est repartie.» Dans celle d’aujourd’hui, il doit s’expliquer : «Je sais qu’on dit UN autobus. Merci à tous ceux qui me l’ont souligné, après ma chronique d’hier. […] C’est con, je sais, mais quand je désigne un autobus par le trajet numéroté qu’il emprunte, c’est plus fort que moi, c’est trop profondément ancré : c’est “la”. C’était “la” 70 qui me transportait jusqu’au Carrefour Laval, ti-cul, “la” 40 qui me déposait au cégep. […] LA route avale LE bus; qui ne font un quand on choisit l’article…» Une nouvelle victime du dilemme de l’autobus. Espérons qu’il s’en remette.

 

[Complément du 16 novembre 2014]

Il est encore une autre façon de désigner les circuits d’autobus (numéro + rue), que l’Oreille découvre en lisant le Titre de transport (2014) d’Alice Michaud-Lapointe :

Il est trois heures et quart au moment où les quatre filles se dirigent vers le métro Villa-Maria. Evelyn prend habituellement la 24/Sherbrooke pour retourner dans Westmount, mais elle se dit qu’aujourd’hui elle peut bien faire une exception, ce n’est pas tous les jours qu’elle a la chance d’être vue en compagnie de Nicky. Comme tous les vendredis, des élèves en provenance de divers collèges bloquent l’entrée du métro. Ceux qu’on voit arriver par la 103/Monkland étudient au Royal Vale High School, mais ils ne sont pas très nombreux, la plupart habitant dans les environs de Somerled (p. 78).

 

[Complément du 1er décembre 2014]

 

[Complément du 24 août 2015]

Vue, ce matin, une publicité pour l’édition 2016 du Petit Larousse, sur un autobus de la Société de transport de Montréal : «Un ou une autobus ?» Ça s’appelle une publicité bien ciblée (pour le Québec).

 

[Complément du 23 septembre 2016]

En deux tweets parfaitement symétriques, Sylvain Carle a résumé un usage québecquois (à l’aller) et un usage montréalais (au retour).

Deux tweets de Sylvain Carle le 23 septembre 2016

 

[Complément du 5 novembre 2017]

La preuve que l’écrivaine Amélie Panneton est née à Québec ? La quatrième de ses «Quatre promesses pour une capitale tendre» est la suivante : «Féminiser définitivement, dans tous les documents de l’administration municipale, le mot “autobus”» (le Devoir, 4-5 novembre 2017, p. F1).

 

[Complément du 28 octobre 2020]

Sur le site Français de nos régions, le 22 octobre 2018, André Thibault publiait le texte «La “bus” ou le “bosse” ? Une autre rivalité Québec-Montréal…» Cartes à l’appuie, il y présente les «quatre formes possibles» du même mot au Québec : «1) la bus; 2) le bosse; 3) le bus; 4) la bosse».

 

[Complément du 1er octobre 2021]

Il y a aura bientôt des élections à Québec. Les responsables du parti Transition Québec ne cachent pas leur choix lexical : «LA bus». (La taupe québecquoise de l’Oreille, qui lui fait découvrir ce choix, parle de populisme linguistique. Cela se défend.)

« LA bus gratuite pour tout le monde», publicité électorale du parti Transition Québec, mai 2021

 

Références

Blais, François, la Nuit des morts-vivants. Roman, Québec, L’instant même, 2011, 171 p.

Michaud-Lapointe, Alice, Titre de transport, Montréal, Héliotrope, série «K», 2014, 206 p.

Pettersen, Geneviève, la Déesse des mouches à feu. Roman, Montréal, Le Quartanier, coll. «Polygraphe», 2014, 203 p.

Remysen, Wim, «Le français au Québec : au-delà des mythes», article numérique, Romaneske, 1, 2003, p. 28-41. http://www.vlrom.be/pdf/031quebec.pdf

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18 réponses sur “Le dilemme de l’autobus”

  1. je confirme, à Québec ma fille et moi-même on avait l’habitude de dire « la 801 », « un vidéo », « la job », « la gang » etc etc – tu n’évoques pas de lien avec anglicismes ? – moi j’y voyais surtout la volonté de se distinguer de nous autres, pauvres demeurés du vieux sol!

    1. Anglicismes ou volonté de distinction ? L’Oreille tendue ne croit pas, mais, en ces matières de genre, elle n’est plus surprise par rien. Personnellement, elle ne dit que la 51, la job et la gang (à prononcer gagne), et jamais la bus. Vidéo et porno, c’est selon.

  2. Ayant vécu trois années à Trois-Rivières à l’adolescence, je peux confirmer qu’on y disait bel et bien « la bus » (ou, par métonymie, « la 11 », « la 53 », etc.).

    À noter qu’on y employait aussi « un frite » pour désigner un casseau rempli de frites. Était-ce mieux ou pire que de dire, comme dans le Montréal de mon enfance, « une frite »? Je ne sais pas.

  3. tout le monde, sauf les incultes, sait qu’«autobus» est masculin. mais «bus», selon les régions, c’est autre chose. à québec, à ma connaissance, on l’emploie toujours au féminin («j’ai manqué ma bus»). et j’entends cet usage fréquemment à montréal, aujourd’hui: à croire que la règle se propage en même temps que les migrations populatoires.

    d’ailleurs, ce dont vous ne parlez pas dans votre article, c’est de la manière correcte d’accorder un numéro de ligne d’autobus. prend-t-on «la 30» ou «le 30»? «30» est-il une ligne ou un autobus? (pour ma part, je penche pour la première hypothèse, plus logique: on se fiche bien de quel autobus on prend, ce qui nous intéresse, c’est où il nous mène: donc quelle ligne il suit, CQFD.)

  4. À Québec, «bus» est non seulement féminin, mais on prononce ce mot «busse»: la «busse». En tout cas, c’est ce que j’ai déjà entendu dans un bus (prononcez «bosse»), moi qui suis de Montréal.

  5. À Québec et de façon courante, on prend «la busse» et la portion de frites est « un frite ». Comme je suis originaire de la couronne nord de Montréal, ça m’a fait bien rire les premiers mois que je suis arrivé à Québec.

    Comme Wim Remysen, maintenant professeur à l’Université de Sherbrooke, a fait son université à Québec, cela explique peut-être pourquoi il en avait déjà parlé en 2003!

  6. Dans les années 1990, à Rimouski, on prenait « la bus » pour se rendre « au Paul » (la polyvalente de l’endroit).

    Aujourd’hui, en Outaouais, les jeunes font « d’la snow ». Dans le Bas-Saint-Laurent, les jeunes faisaient « du snow ».

    Évidemment, ce serait bien plus simple de « bien parler » et de dire : « l’autobus » et « de la planche en neige ».

    Mais bon…

  7. À Granby, la plupart des gens disent aussi « la » bus. D’ailleurs, chaque fois que j’évoque la bus à Montréal, on me demande si je viens des Cantons-de-l’Est…

  8. J’ai lu il y a une trentaine d’années un article du linguiste Philippe Barbaud qui estimait que la féminisation de mots comme autobus, ascenseur, hôpital, avion et autres était due à l’élision de la voyelle de l’article défini : on dit l’autobus, l’avion, l’hôpital, l’ascenseur, etc., et dans ces contextes, le genre n’est pas marqué, ce qui faciliterait le passage au féminin. Cela semble une piste intéressante.

    Chantal Bouchard

  9. Je vous confirme que ma blonde qui vient de Shawinigan dit bien « une » bus, prononcé « busse ».
    Au lieu de la prononciation qui a mon avis sonne mieux « un bus » avec la prononciation anglaise « bos »
    Sinon on dit un autobus.

    Mais la pire chose que j’ai entendu plus d’une fois de la part de ma blonde et d’autres de ses amis c’est « une » beigne !?? … au lieu d’un beigne. Ça, ça fait mal !!!!!!!

  10. je me souviens qu’à Québec on disait toujours « la » 801, comme ils disaient « un » vidéo et autres pour rattraper, mais vu qu’à Montréal je prenais que le métro j’ai pas pu pousser l’enquête…

  11. J’ai travailler pendant 6 ans dans un tim Hortons à Trois-Rivières et les gens me corrigeaient quand je disais « un beigne ». La beigne ça sonnait tellement bizarre à mes oreilles mais on s’habitue!

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