Il y a un an, le fils aîné de l’Oreille tendue a passé quelques jours à Paris. Caméléon linguistique, il a réussi à se fondre dans la conversation ambiante sans trop de mal. Il n’y a qu’un signe d’appartenance non autochtone dont il n’était pas parvenu à se défaire : l’emploi passe-partout du mot correct.
Ce qui, chez un Hexagonal, aurait été bien ou bon était correct chez lui — un plat, un comportement, une œuvre d’art. Utilisant correct, il ne sous-entendait aucun (léger) vice caché. On lui demandait s’il appréciait son voyage et il répondait «Correct». Pour lui, ça allait.
On trouve plusieurs bons exemples des usages québécois de correct dans le roman Comme des sentinelles de Jean-Philippe Martel, ce mot qui marque la (quasi-)satisfaction : «un “gars correct” sur qui on pouvait à peu près compter» (p. 57); «Peut-être rien d’extraordinaire, là, mais correct, tu sais ?» (p. 91); «j’ai décidé qu’il n’y avait pas de quoi m’en faire, que ce n’était peut-être pas normal, mais que ça allait, là; que c’était correct» (p. 109); «Elle dit que c’est pas correct pour lui» (p. 124); «—Tu veux peut-être que je te le rappelle ? —Non, ça va être correct» (p. 169).
Synonymes : oui et tiguidou.
Antonyme : moyen.
Remarque : dans certains cas très spécifiques, correct peut avoir valeur d’antiphrase et marquer une désapprobation (qui refuse de s’avouer). Exemple : Les enfants de X refusent de parler à leur mère. C’est correct comme ça.
Prononciation : la prononciation du t final est facultative.
[Complément du 19 juin 2015]
Cet usage n’est pas tout récent. On le trouve dans une pièce de théâtre de Jean-Claude Germain montée en 1969, Diguidi, diguidi, ha ! ha ! ha ! : «Bon… C’est corrèque… tu peux rentrer pis t’déshabiller» (p. 48). Sens : ça va aller. (Graphie certifiée d’origine.)
Rebelote dans une pièce de 1971, Si les Sansoucis s’en soucient, ces Sansoucis-ci s’en soucieront-ils ? Bien parler, c’est se respecter ! : «Bon, ben çé corrèque… oubliez toute s’que j’ai dit…» (p. 144). Le mot a ici valeur de concession.
[Complément du 26 mars 2019]
En 1937, la brochure le Bon Parler français classait «Correct. O. K.», mis pour «Ça va», parmi les barbarismes (p. 20).
[Complément du 29 novembre 2021]
Dans Meurtre au Forum, on peut lire ceci :
«— […] je me préparais justement à te téléphoner pour te demander de venir me rencontrer au Forum.
— C’est correct. Le temps de m’habiller et je saute dans ma voiture. Je vais être là, dans au plus vingt minutes» (p. 4).
Meurtre au Forum date de 1953.
[Complément du 23 mai 2022]
Confirmation de la prononciation chez le Michel Ragabliati de Paul à Québec (2009, p. 37) : «Correc !»
[Complément du 4 avril 2024]
Il arrive, mais plus rarement, que correct soit employé adverbialement : «Je suis correct intelligent, mais je ne suis pas super intelligent non plus» (la Presse+, 4 avril 2024).
Illustration : Samuel Cantin, Phobies des moments seuls. Les carnets du docteur Marcus Pigeon, Montréal, Éditions Pow Pow, 2011, 157 p., p. 134.
Références
Le Bon Parler français, La Mennais (Laprairie), Procure des Frères de l’Instruction chrétienne, 1937, 24 p.
Germain, Jean-Claude, Diguidi, diguidi, ha ! ha ! ha ! [suivi de] Si les Sansoucis s’en soucient, ces Sansoucis-ci s’en soucieront-ils ? Bien parler, c’est se respecter !, Montréal, Leméac, coll. «Théâtre québécois», 24, 1972, 194 p. Ill. Introduction de Robert Spickler.
Martel, Jean-Philippe, Comme des sentinelles. Roman, Montréal, La mèche, 2012, 177 p.
Rabagliati, Michel, Paul à Québec, Montréal, La Pastèque, 2009, 187 p.
Verchères, Paul [pseudonyme d’Alexandre Huot ?], Meurtre au hockey, Montréal, Éditions Police journal, coll. «Les exploits policiers du Domino Noir», 300, [1953], 32 p.
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expression énervante
J’ai pas rien dit !
si vous avez rien dit pourquoi le PAS? donc vous avez dit quelque chose ….
A+
Chère Oreille,
Je ne sais pas si vous l’avez remarqué, mais la Journée nationale des patriotes est en train de laisser tomber sa majuscule. La « migration » n’est pas complète sur son site (http://www.1837.qc.ca/), mais l’OQLF et les sites du gouvernement semblent avoir adopté la minuscule. Cela ne me surprend guère de la part du politique (qui cherche à confondre patriotes et nationalistes), mais que l’OQLF suive me sidère.
J’ai vérifié les textes de loi de 2002 et la fête utilise bel et bien la majuscule.