Artistes de la scène

Samuel Archibald, Quinze pour cent, 2013, couverture

Au hockey, le joueur qui refuse de s’impliquer, qui traîne en périphérie, qui laisse ses coéquipiers faire la sale besogne à sa place, est un scèneux (orthographe approximative). Il attend qu’on lui refile le disque. Bref, il scène.

Exemple, repéré sur Twitter, chez @oniquet : «Kunitz est un sceneux ?»

L’Oreille tendue ne connaissait que ce sens du mot (le substantif, le verbe intransitif).

Lisant Quinze pour cent (2013) de Samuel Archibald, elle tombe sur la phrase suivante, où scèner est transitif direct (au sens de se faire payer ?) : «Il avait le don pour se scèner de la bière […]» (p. 65).

Archibaldisme ? Usage régional ? Tant de questions, si peu de réponses.

P.-S. — Vous croyez entendre loafer dans scèner ? Ce n’est pas du tout impossible.

 

[Complément du 2 janvier 2014]

Samuel Mercier l’a signalé le premier, ci-dessous : ce que plusieurs écrivent scèner a des origines maritimes et pourrait donc s’écrire seiner ou senner. Voilà une chose de réglée.

Quand au sens du mot, la diversité règne, comme le révèlent les discussions dans les commentaires.

Pour simplifier, on pourrait résumer ainsi les définitions québécoises de scèner, les unes croisant souvent les autres.

1. Traîner. En ce sens, le mot est fréquent dans le lexique sportif, surtout celui du hockey.

2. Quémander, quêter. Cette acception serait commune au Saguenay—Lac-Saint-Jean, mais suivant deux registres. On peut quêter de manière théâtrale ou de manière détournée, pas franchement, par en dessous.

3. Observer, écornifler, ne pas se mêler de ses affaires. On trouve un sens proche dans Dixie (2013) de William S. Messier : «Les visages confus scènent Gervais et son banjo déterré» (p. 43); «Non, les trois premiers soldats posent devant un trophée de chasse et les trois suivants, en arrière, se dépêchent pour aller scèner le cadavre, eux aussi» (p. 99); «Les urubus se sont échappés d’entre les pierres et les plants en entendant le chiard furieux de Led Zeppelin pour se percher aux branches d’arbres environnants et scèner les gestes des Huot» (p. 129).

 

Références

Archibald, Samuel, Quinze pour cent, Montréal, Le Quartanier, coll. «Nova», 1, 2013, 67 p.

Messier, William S., Dixie. Roman, Montréal, Marchand de feuilles, 2013, 157 p. Ill.

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16 réponses sur “Artistes de la scène”

  1. Dans mon livre à moi, le scèneux traine plutôt au centre de la patinoire à attendre une éventuelle passe des besogneux défensifs.

    Quant au plus général refus de s’impliquer, on dit de lui qu’il ne va pas dans les coins, ce qui est peut-être une bonne idée étant donné l’épidémie de commotions cérébrales qui y sévit.

  2. Chère Oreille, encore moi (je nous donne du travail cette semaine).

    A priori, j’aurais été tenté de rapprocher les deux expressions, celle de hockey et de vie sociale (dont les significations ne sont pas totalement étrangères après tout). Le hic, comme l’a remarqué Olivier N., c’est que le terme «scèneux» n’est pas très usité au Saguenay dans le vocabulaire d’aréna (l’ami Dany Michaud me signale son existence à Dolbeau, au nord du lac Saint-Jean). On dit «loafeux» ou, quand j’étais jeune, «pousseux» (pour « pousseux de puck », évidemment).

    Dans mon livre à moi, «scèner» pourrait se définir par «quêter de manière théâtrale» (d’où la graphie que je retiens). Un geste typique de scèneux consiste à arriver chez quelqu’un les mains vides à l’heure de l’apéro, à refuser deux ou trois fois la bière offerte pour se donner bonne conscience, avant de finalement accepter et de coller là pendant trois heures. On dira alors qu’il est venu «se scèner de la bière.»

    Un appel à tous Facebook nous amène un flou assez énigmatique : si les Saguenéens et les Jeannois partagent ma définition et utilisent «scèneux» principalement comme un synonyme de «quêteux» ou de «téteux», les gens de Gaspésie, du Bas-du-Fleuve, du Centre-du-Québec, des Cantons-de-l’Est et même de la Mauricie utilisent le terme au sens d’ «écornifleux» ou de «ouèreux/wéreux» (ici, Alexie Morin et Dany Leclair ne s’entendent pas sur l’orthographe) : quelqu’un qui cherche à voir ou à savoir ce qui ne le concerne pas, qui ne se mêle pas de ses affaires.

    Fait étrange : les gens de La Baie des Ha ! Ha !, qui sont venus de Charlevoix jadis, partagent cette définition inusitée dans le reste du Saguenay (sont bizarres, le monde, à La Baie. En tout cas, nous autres, on allait jamais là).

    L’éventuel chaînon manquant entre les deux significations, tu y auras pensé peut-être en même que temps que moi, c’est la figure du «quêteux», lequel passait jadis de maison en maison à la fois pour colporter/écornifler et pour solliciter alcool et nourriture.

    Quelques amis Facebook d’origine indéterminée proposent aussi «scèneux» au sens de «qui fait des scènes», ce qui me semble plus près de l’expression franco-française.

    Ça n’ajoute pas grand chose à la discussion, mais Rafaël Ouellet nous rappelle aussi que « sèner/cèner » avant le sens de «châtrer un porc» au 16-17e siècle.

    Ça ajoute encore moins à la discussion, mais un scèneux anonyme a aimablement profité de l’occasion pour me faire part d’une rumeur, suivant laquelle mon père et ses frères étaient reconnus pour scèner, durant les joutes amicales disputées au parc Powell au début des années 60. Je serais donc le surgeon d’une famille de loafeux.

    Malheureusement pour lui, je sais où il habite et je connais quelqu’un qui va réveillonner au soluté de dinde.

    Au plaisir,

    S.

  3. Scèner désigne l’action de se mêler de ce qui ne nous regarde pas. Comme l’expression est courante dans le Bas-du-Fleuve et en Gaspésie, je suggérerais l’orthographe seiner, de pêcher à la seine, en traînant un filet dans l’espoir d’attraper quelque chose, ici des ragots. Scèneux peut aussi être synonyme de badauds.

  4. Spontanément et me fondant sur mes souvenirs d’enfance, donc à la fois prestement et proustement, je distinguerais «scèner» de «loafer», le second renvoyant à l’anglais et au rien, soit le verbe «To Loaf» qui signifie littéralement «passer son temps à ne rien faire» et dont le Bartleby de Melville est sans doute le plus grand représentant. On y lit aisément la nonchalance, voire la paresse du joueur. Tandis que «scèner» en revanche me semble plus proche de «fouiner», comme dans : «Maman, y a encore le voisin qui vient scèner dans la cour», c’est-à-dire «jeter un coup d’oeil inquisiteur sans y être invité».

  5. L’origine maritime permet aussi d’expliquer le rapport entre quêteux et seineux que certains semblent connaître, ajoutant l’idée de rétribution. Le seineux est donc plus qu’un senteux, un vouèreux ou un sneakeux, il tire profit de ses agissements, que ce profit soit un repas, une bière, un ragot ou une rondelle.

    De plus, ce serait en phase avec bien d’autres expressions maritimes courantes comme focailler (laisser battre le foc au vent par temps de tempête, donc en arracher pour ne pas progresser, et ce, au risque de prendre un coup de barre), sentir le cani (la corde ou le bois pourri) ou embarquer.

  6. Je ne veux pas faire mon scéneux, mais après lecture des commentaires plus hauts, je me permets d’ajouter le grain de sel d’un petit gars de la Montérégie (plus précisément Saint-Hyacinthe). Dans mon jeune temps, dans mon patelin, le mot avait l’une ou l’autre des significations suivantes:

    – Au hockey, le sens donné par Benoît, auquel j’ajouterais qu’au hockey-balle (le seul que j’aie personnellement pratiqué, je l’avoue), à défaut d’arbitres et juges de lignes, le scéneux se plaçait généralement carrément devant le but adverse à attendre une passe. D’évidence, le scéneux n’a aucun sens du fair play.

    – Sinon, ça signifiait écornifleux, comme le décrit Monsieur Archibald.

  7. Je viens tout juste de vous lire au sujet du «scéner» de Samuel Archibald. Au Saguenay, j’ai entendu et utilisé à maintes reprises ce verbe au sens de «quêter», mais il me semble y entendre une nuance: c’est quêter plus ou moins directement, de manière détournée, pas franchement, par en dessous. Un scèneux tombe sur les nerfs. Quant au gars qui attend la passe sans se faire suer, en se tenant au-delà des défenseurs adverses, au Saguenay toujours, c’est un loafer. Un loafer scène une passe.

  8. Chez moi, le Grand-Mérois, « loafer » c’est « foxer ». Oups. Un scèneux c’est un tèteux comme dans « M’a te scèner une Royal taponneuse, j’ai plus de tabac ».

    1. J’oubliais. « scèner », « téter », dans le sens d’emprunter, de quêter, c’est aussi « bummer ». Quand on n’a plus de tabac on peut ou « scèner une Royale tamponneuse » ou « bummer une pollock ». Le résultat est le même.

  9. Quoi? On parle d’étymologie de mots québécois et je n’étais pas au courant!

    Je ne connaissais pas l’origine de ce mot, alors j’ai demandé l’avis d’André Thibault, professeur de linguistique à la Sorbonne, qui est d’origine québécoise, et qui est mon directeur de thèse de doctorat. Il m’a dit que ça venait de ‘seiner’, qui fait référence à une manière de pêcher avec un filet. Une petite recherche dans la thèse de mon amie Karine Gauvin, professeure de linguistique à l’université de Moncton, qui a traité de l’élargissement sémantique des mots d’origine maritime en français québécois et en français acadien. Même chose: le mot est un terme de marine (voir le TLFi s.v. seiner pour le sens propre).

    Il semble que le changement phonétique vers ‘scèner’ (et ‘scèneux’) est une étymologie populaire, afin de faire un lien avec le comédien qui fait son intéressant.

    Le mot ‘seiner’ est également attesté en créole haïtien (je l’ai trouvé dans l’Atlas linguistique d’Haïti), au sens d’«ensorceler». Il devait donc être également présent dans les parlers de France à l’époque coloniale.

    Voilà!

  10. Autre chose: le mot ‘seineuse’ a aussi le sens de «racoleuse, prostituée». Il est intéressant de faire le parallèle avec le mot ‘draguer’, qui vient aussi du vocabulaire de la pêche: il s’agissait de passer une drague au fond de l’eau pour pêcher les poissons de fond et les coquillages.

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