Soit les phrases suivantes, toutes les deux tirées de la Presse+ du 19 avril 2014 :
«J’ai aimé la façon dont on a géré la rondelle autant que la façon dont on s’est défendus» (Michel Therrien).
«On savait qu’ils sortiraient en force, et il a fallu gérer la tempête au début» (Carey Price).
Le hockey est devenu affaire de gestion. Le phénomène est récent : on n’aurait pas parlé ainsi il y a quinze ou vingt ans.
C’est particulièrement clair dans le vocabulaire du joueurnaliste Marc Denis au Réseau des sports (RDS). Un de ses verbes favoris est gérer (la rondelle, le «traffic» devant le filet, l’attaque à cinq) et il n’hésite pas à parler du mandat confié à l’entraîneur des gardiens (match du 20 avril 2014).
Dans une société où l’économie occupe autant de place, cela ne devrait pas étonner les spectateurs.
P.-S. — Exemple romanesque, dans Chanson française (2013) de Sophie Létourneau, qui montre bien l’ampleur de la pénétration du vocabulaire de la gestion dans l’ensemble du langage : «La classe était dissipée, il y avait du chahut, mais tu gérais jusqu’à ce que Julien ouvre la porte» (p. 130).
[Complément du 27 avril 2014]
Que doivent faire les Canadiens de Montréal, selon le propriétaire de l’équipe, Geoff Molson ? «Il faut gérer les attentes» (la Presse, 11 avril 2014, cahier Sports, p. 3).
[Complément du 28 mai 2014]
Trois autres exemples du vocabulaire de la gestion appliqué au hockey.
Il fut un temps où chaque équipe avait des entraîneurs adjoints; ils ont été remplacés par des entraîneurs associés. Ils sont devenus des partenaires. Comme dans les grandes surfaces de rénovation, le personnel hockeyistique a changé de statut.
On ne parle plus de la responsabilité des joueurs, mais de leur imputabilité.
Une équipe doit générer des occasions de marquer ou générer de l’attaque, comme d’autres génèrent des revenus.
[Complément du 3 juillet 2018]
Entendu hier, au Réseau des sports, le joueurnalyste Patrick Leduc parler du «capital de chance» des joueurs japonais dans leur huitième de finale à la Coupe du monde de football 2018 : de la langue de puck à la langue de ballon rond.
[Complément du 3 juillet 2018]
La mémoire est la faculté qui va oublier. L’Oreille tendue reparlera de ceci… le 19 juillet 2016.
[Complément du 2 juin 2019]
L’autre jour, Marc Denis était interrogé par la Presse+ sur les raisons de la faible présence des anciens gardiens de but parmi les entraîneurs de la Ligue nationale de hockey. Sa réponse :
«C’est vrai que notre tempérament est plus proche de celui d’un gestionnaire», ajoute Marc Denis. Actionnaire des Saguenéens de Chicoutimi, il n’a pas l’intention de devenir entraîneur-chef. Mais un poste dans les opérations hockey ? «Ce n’est pas impossible que je me dirige de ce côté-là un jour. La gestion, ça m’intéresse. C’est drôle, quand tu y penses, parce que sur la glace, le gardien est un des seuls joueurs qui peut gérer le match. Il peut décider d’arrêter l’action, par exemple. Ou décider de quel côté ira la mise en jeu. Il est capable de prendre du recul face au jeu et de l’analyser.» (L’Oreille souligne.)
Ceci (le passé du joueur) expliquerait-il cela (le choix d’un mot) ?
Références
Létourneau, Sophie, Chanson française. Roman, Montréal, Le Quartanier, «série QR», 70, 2013, 178 p.
Melançon, Benoît, Langue de puck. Abécédaire du hockey, Montréal, Del Busso éditeur, 2014, 128 p. Préface de Jean Dion. Illustrations de Julien Del Busso.
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