(En 2013, l’Oreille tendue a proposé ici un «Dictionnaire des séries»; elle en a par la suite tiré un livre, Langue de puck. Abécédaire du hockey. Elle a aussi réfléchi à la langue du football américain, et donc canadien, et vice versa; c’est là. Qu’en est-il du vocabulaire du baseball, de la langue de balle ? Troisième texte d’une série.)
«Une vingtaine de pages plus loin, toutefois, il fut de nouveau question de baseball. Une petite phrase me fit sursauter :
C’était la prise quatre.
J’étais atterré. Comme des millions d’amateurs de sport en Amérique, je savais très bien que le nombre de prises, au baseball, était limité à trois. Je refermai le roman, éteignis la veilleuse et me remis à la fenêtre. Le regard perdu dans la nuit, je me mis à penser aux nombreux traducteurs qui vivaient en France, de l’autre côté de l’Atlantique, et qui traduisaient des romans américains. Ils avaient toute ma sympathie, car je savais à quel point leur métier était difficile, et l’envie me vint de leur écrire une lettre.
Je voulais leur dire qu’il y avait au Québec, depuis peut-être un siècle, un grand nombre de gens qui pratiquaient le baseball et le football américain, et qu’ils le faisaient en français. Un français qui avec les années était devenu élégant et précis, grâce au travail de traduction accompli par les commentateurs sportifs de la radio et de la télé. C’est pourquoi je leur donnais un conseil, à titre de collègue : lorsqu’ils devaient traduire un roman américain contenant des passages sur le baseball ou le football, ils avaient intérêt à consulter un des nombreux Québécois qui vivaient à Paris ou ailleurs en France. Si cette démarche ne leur convenait pas, ils n’avaient qu’à donner un coup de fil à la Délégation du Québec : même la téléphoniste était en mesure de leur indiquer les traductions exactes. Pour ma part, j’étais disposé à réviser leurs textes tout à fait gratuitement, pour être enfin débarrassé des inepties qui encombraient la version française des romans américains.»
Jacques Poulin, Chat sauvage. Roman, Montréal et Arles, Leméac et Actes Sud, 1998, 188 p., p. 115-116.
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